De nos jours, ce mois de décembre est souvent consacré en grande partie aux préparatifs des fêtes de Noël et du jour de l’an.
Avant le début du XXe siècle, la vie dans notre Val de Thônes, encore très rural, était rythmée par bien d’autres occupations. On a tort de croire que les villages entraient dans une certaine léthargie et que la neige, si elle était déjà tombée, gardait chacun dans « sa tanière » !
Au contraire les journées étaient bien remplies : nourrir et soigner le bétail, aller chercher l’eau au bachal pour abreuver les bêtes à l’étable, celles-ci ne sortant pas durant l’hiver…Lorsque ce travail était terminé, si la neige était là, les hommes du hameau se rassemblaient avec les chevaux afin de « faire les chemins », c’est à dire de les déneiger en passant l’étrave tirée par les animaux. Souvent aussi, les gens profitaient des sentiers ou des champs gelés ou enneigés pour aller chercher le foin stocké durant l’été dans des granges isolées au milieu des alpages. Ils fixaient des fagots de foin sur un « bovet », espèce de très « grande luge à cornes », se plaçaient devant en tenant les cornes et profitaient ainsi du sol glissant pour amener ce foin jusqu’à la ferme où vivaient les bêtes. D’autres travaux étaient effectués durant l’hiver : la descente des troncs d’arbres coupés à l’automne dans les forêts, le transport en était ainsi facilité par les chemins et ruisseaux gelés.
Si le temps était trop mauvais, les occupations à la maison étaient nombreuses. On en profitait pour préparer des ancelles ou des tavaillons qui serviront à recouvrir ou réparer les toits à la bonne saison. Il faut aussi réparer les chaussures en les cloutant, les harnachements des chevaux, affûter scies, haches et autres outils, fabriquer des balais avec les « vernes » (branches de saules) et dont les manches étaient fabriqués avec des branches de noisetier…
La nuit tombant très vite et n’ayant que la lueur des lampes à pétrole pour s’éclairer, la famille se regroupait dans la maison et était souvent rejointe par d’autres familles voisines. Alors commençaient les veillées !
Bien sûr, la plus importante de ce mois de décembre était celle du soir de « Challande » c’est à dire Noël. Ce soir là exceptionnellement, on restait en famille. Un simple repas avant de partir à la messe de minuit et l’on affrontait les rigueurs de la froide nuit, peut-être avec des chutes de neige, ce qui ne rendait pas le trajet toujours facile !
Pour s’éclairer, on préparait des flambeaux fabriqués de planches enduites de poix ou résine, ramassée sur les sapins, c’était le flambo d’la messa d’la minuait. Mais au retour on se régalait avec une soupe bien chaude, quelques saucisses, du fromage, ou en buvant du café au lait accompagné de « rezules » (rissoles ¹) confectionnées les jours précédents et qui attendaient sur des planches dans une chambre de la maison – de toutes façons peu chauffée !
Chanson de Noël retrouvée
« Challande est venu
avec son bonnet pointu
sa barbe de paille
pour casser les alognes (noisettes)
on a du pain blanc
jusqu’à nouvel an. »
La veillée de la Saint-Etienne
Une soirée particulièrement marquée durant la fin de l’année était la veillée du jour de la Saint- Etienne – le 26 décembre. (texte tiré du livre : Veillées d’autrefois en Val de Thônes N° 26 de la collection « Amis du Val de Thônes »).
« Traditionnellement, le 26 décembre, la coutume voulait que l’on allât à la veillée dans les familles où se trouvaient des jeunes filles à marier, pour « casser la cavagne ». Il ne s’agissait pas pour autant de briser ces paniers ronds à deux poignées, mais plutôt de faire une veillée de distractions autour de leur contenu, les noisettes. Si l’on gremaillait autour des noix, dans un but utilitaire – aider la famille à préparer les cerneaux qui serviront à faire son huile – on venait pour se divertir, casser et croquer les noisettes, les alognes, au cours d’une veillée spécialement dévolue à cela, inscrite dans les douze jours de Noël ².
A l’automne, les jeunes filles récoltaient les noisettes et les conservaient en vue de cette soirée. Ce qui a donné naissance au proverbe « Année de noisettes, année de fillettes ». Il n’échappera à personne que si la récolte était abondante, la veillée serait fournie, tant en noisettes qu’en fillettes ! Occasion de se rencontrer entre jeunes, les garçons d’après Claude Gay, apportant du vin, des friandises, du pain blanc que l’on dégustait au cours de la collation avec le supplément préparé à la maison ; on ne manquait pas de danser durant la nuit. Rencontres tirant parfois à conséquences. Ne dit-on pas dans d’autres régions de Savoie : « Année de noisettes, année de bâtards » (Annecy, La Balme-de-Sillingy…) ou « Peu de noisettes, peu de bâtards » (Moûtiers….)
Dans le Journal de la Vallée de Thônes daté du 4 janvier 1913, à la rubrique « Fantaisie patoise, les coutumes de la Vallée », est relatée une de ces soirées. Le texte met en évidence la persistance de cette veillée, au début du XXe siècle, alors qu’elle a totalement disparu de nos jours… ».
Le premier jour de l’année
Vient ensuite le premier jour de l’année, sans réjouissances spéciales; seule la parenté se rendait visite. On buvait le café, parfois une bouteille de vin, remplacée plus souvent par la « goutte », le tout accompagné de rissoles – les dernières confectionnées pour ce temps de festivités. Les enfants faisaient le tour des maisons du hameau en souhaitant « le boun’an » (la bonne année) et en espérant recevoir quelques friandises, voire quelques piécettes !
« D’vô swetol’bounan
lé étréne su la man »
« Au 6 janvier s’achèvent les fêtes de Noël, avec la fête des Rois. Pour ce jour là, on fabriquait à la maison un gâteau avec une pâte levée à laquelle on ajoutait selon ses possibilités, un peu de beurre, du sucre, un œuf. Le soir on se réunissait pour manger le gâteau et boire, puis on dansait ». (Extrait du livre La Savoie traditionnelle, Marie-Thérèse Hermann, éd.Les Savoisiennnes, Curandera).
Après ce temps de fête, la vie reprenait son cours. Mais les veillées consacrées soit au travail, soit au divertissement, se perpétuaient durant les longues soirées d’hiver !
Danielle PERRILLAT-MERCEROT
¹ Les rezules (rissoles) sont des petits chaussons de pâte feuilletée ou brisée fourrés de compote de fruits assez sèche (poires, pommes, coings…) cuits essentiellement autrefois à la poêle. Actuellement elles sont souvent cuites au four. Retrouvez la recette des rissoles en images
² Ce « temps des douze jours » (six jours avant la fin de l’année et les six premiers jours de janvier- jusqu’à la fête des Rois) était un moment important pour les familles aussi bien dans la vie religieuse que dans la vie de tous les jours !
Photos : Danielle PERRILLAT-MERCEROT
En savoir plus sur Noël (ou Challande, Chalende…) en Val de Thônes
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