Les cabanes de bûcherons

Samedi matin, Juliette et Pierre viennent de rentrer du marché. Pendant que Juliette range les courses, j’interroge Pierre, de Glapigny (Thônes) :

Tu as déjà fait une cabane comme celle-là (Fig.1) ?
Une fois, « aux 4 lettres », sur le chemin qui va au Dard. Sur le cadastre, c’est au croisement des lettres HIJK, c’est pour ça qu’on dit « aux 4 lettres ». C’était vers 1965, peut-être 1966.

Fig. 1 Cabane de bucherons dans la forêt du Mont (Thônes) vers 1936 – Photo fonds R.B.

A quoi elle servait ?
On n’y dormait pas, on n’était pas très loin de la maison. C’était plutôt un abri, un refuge en cas de mauvais temps et pour le casse-croûte. On y avait amené un fourneau. C’est que les coupes prenaient du temps : couper les arbres, les ébrancher, les écorcer. Puis installer le câble, débiter les billons, les faire glisser jusqu’au câble. Les descendre… C’était plusieurs mois de travail, on commençait au printemps, posait le câble en août et descendait les billons à partir de novembre.

D’où vient l’idée d’une cabane ?
Les cabanes étaient assez courantes pour les grandes coupes de bois, au moins 300 à 400 mètres cubes, souligne Paul, qui nous a rejoint. Lors d’une précédente coupe, vers 1945-48, il y avait déjà eu une cabane pas très loin. Elle avait été faite par les Pisenti, deux frères et leur père. Ils étaient italiens, habitaient Thônes, rue des Clefs. Et eux, ils y dormaient. Venir tous les jours depuis Thônes à pieds, ce n’était pas possible. Ils n’avaient pas le choix ! Alors la semaine, ils y restaient. Quels travailleurs !
Ils descendaient le bois avec des rises (1) : les billons étaient guidés par des perches, ils glissaient sur ces rigoles. Quand ils prenaient trop de vitesse, on interrompait la rise et ils glissaient sur un champ par exemple. C’était beau, ce travail, mais dangereux ! Après, les câbles ont remplacé cela.

Fig. 2 Hutte de bûcherons vers 1905 – Carte postale fonds AVT.

Comment on la construit ?
Il faut choisir un endroit plat, avec 4 arbres pour former un quadrilatère. Cela ne prenait pas beaucoup de temps : à 3 ou 4 personnes, c’était fait en 2 jours à peu près. De toute façon il fallait aller vite car les écorces devaient être posées avant de s’enrouler et de casser. Les écorces servaient pour les murs et le toit. On cherchait des épicéas assez gros. Près du pied, on évite les nœuds, ça va bien. On délimite les bords à la hache et on enlève les plaques d’écorce avec un pelieu à sève (2). Comme les arbres étaient en sève, cela fait assez bien. Attention, pas de sapin car l’écorce saute et éclate sans arrêt. On coupait des perches, les attachait aux 4 sapins qui délimitaient la cabane avec des écorces ou du noisetier. Puis on fixait les écorces, avec les meilleurs morceaux pour le toit. On vérifiait l’étanchéité, on ajoutait parfois une deuxième épaisseur sur le toit. La pluie ne passait pas pendant toute la durée du chantier, c’était efficace !

Détail troublant : en 1965, pendant que ses frères faisaient une coupe à Glapigny, Maurice fait du bois à Alex. Une cabane est également faite, mais en planches, et ces dernières amenées avec une jeep. Quelle évolution ! Et ces éphémères cabanes d’écorce, utilisées depuis des siècles, ne surgissent plus au hasard de nos promenades…

Merci à Juliette, Pierre, Maurice et Paul Porret.

Propos recueillis par Stéphane Chalabi.

(1) rise : assemblage de petits billons placés les uns à la suite des autres, la tête en aval. Ils forment un couloir dans lequel le bois glisse facilement une fois le gel arrivé (AVT 15, page 55).

(2) pelieu ou peïllyeu : genre de racloir à long manche pour enlever les écorces (AVT 15, page 51)

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