Dernières nouvelles de Marie Pantalon…

C’est grâce à Monique Fillion que la figure de Marie Pantalon a été sauvée de l’oubli. Au fil d’articles et de conférences, elle retraça l’histoire incroyable de cette Thônaine qui acquit fortune et célébrité en Californie lors de la ruée vers l’or.

Retrouvez ici les derniers éléments recueillis sur son incroyable parcours…

Partie du Havre pour San Francisco

Des recherches ont été entreprises auprès des archives de Seine-Maritime pour retrouver le passage de Marie Suize vers la Californie et les conditions de son voyage. Ainsi qu’elle l’affirmait à des journalistes du Nevada à la fin de sa vie (1892),  elle a bien voyagé comme un homme depuis Le Havre jusqu’à San Francisco. Elle est enregistrée comme « voyageur de commerce » sur le livre de bord du Ferrière, un navire tout juste mis à la mer. Quand elle arrive à San Francisco, Cap Horn doublé dans le mauvais sens, elle est la 11ème « Française » [au sens de francophone puisqu’elle est savoyarde et ressortissante du Royaume de Piémont-Sardaigne] à débarquer dans cette ville (1).

Extrait de la liste des passagers du Ferrière en juin 1850

Un témoignage précieux est donné par une lettre de Maurice Lacombe, de Scionzier (Haute-Savoie), à sa famille, en 1891 :

De ce moment, je travaillais avec une demoiselle de Tône qui m’a raconté l’histoire de Gimet de Reposoir et de Jakard de Châtillon. C’est elle qui la donné l’argent pour le voyage. En 1850, elle s’est fait couper les cheveux, acheté des bottes, elle c’est habillé en homme et a partit a la recherche de l’or.

Le « Jakard » en question correspond à François Jacquart, également inscrit comme voyageur de commerce et compagnon de Marie sur le Ferrière. Notons que le sexe de cette dernière n’est pas mentionné dans la liste des passagers et qu’elle porte un prénom alors opportunément commun aux hommes et aux femmes !

« Jeanne d’Arc » puis « Marie Pantalon »

Chercheuse d’or chanceuse, Marie exploite des filons fructueux avec ses équipes. C’est elle qui signe les accords, mène ses troupes et sait défendre ses tunnels les armes à la main. Des Canadiens et le « Kennedy Gang » sauront combien il en coûte de s’attaquer à la « Jeanne d’Arc », son surnom. Elle gagne son autre surnom « Marie Pantalon » au fait qu’elle porte toujours ce vêtement qui lui va mieux que tous les autres, aux dires de ses concitoyens.

Évidemment, elle n’échappe pas aux procès ni aux amendes pour avoir transgressé l’ordre : le travesti est alors interdit en Californie, comme au Nevada. Trois fois on voudra la contraindre à s’habiller en femme, d’autant qu’elle prétend bénéficier d’une vieille loi espagnole toujours en vigueur en Californie, permettant aux femmes seules d’exploiter un petit commerce sans payer l’impôt ! Elle paiera toutes les amendes mais restera fidèle au pantalon.

Femme d’affaires avisée, elle achète des terres pour exploiter non seulement le sous-sol mais aussi mettre en valeur la riche terre en surface. Première à produire du vin dans cette partie de la Californie, elle possèdera 30.000 pieds de vigne, cépage Zinfandel, d’origine hongroise, venant probablement de l’est des États-Unis. Elle produit d’autres fruits et aussi des mûriers. Elle est alors propriétaire d’un ranch prospère, réputé pour son vin et son brandy, qu’elle vend dans les magasins de Virginia City (Nevada) ou de San Francisco. Ses annonces dans les journaux pour promouvoir ses produits parlent de Madame Mary Suize Pantaton, ou de Mrs Pants, selon la respectabilité qu’elle veut se donner.

Publicité de 1870 pour le vin produit par Marie Suize Suize

Mais elle aime aussi jouer en bourse, pouvant aller jusqu’à perdre 150.000 dollars en une seule séance. Finalement, elle se laisse entrainer dans l’aventure du Comstock Lode, ce filon d’or et d’argent qui promettait monts et merveilles et qui la ruinera, comme tous les autres.

Morte dans l’anonymat

Ainsi, celle qui selon Maurice Lacombe, « nous dit souvent à moi et à Tardy qu’elle a rempli une caisse d’un mêttre cube d’or. Mais où est ce temps ; il y en a encore, mais plus rare », est morte sans un sou, enterrée dans une tombe inconnue. Celle qui en 1870 déjà, était présentée comme la championne de la revendication pour les droits des femmes en Californie, n’a pas eu droit à la moindre pierre tombale.

Injustice réparée le jour du 180ème anniversaire de la naissance de Marie, par la pose d’une plaque commémorative, lors d’une cérémonie conjointe du comité d’histoire local et des Amis du Val de Thônes. C’était à Jackson, comté d’Amador, en Californie, le 14 juillet 2004.

Cérémonie pour la pose de la stèle commémorative en 2004 à Jackson

Monique Fillion (†)

Sources

(1)- Claudine Chalmers, L’aventure française à San Francisco pendant la ruée vers l’or, 1849-1854, doctorat de civilisation américaine, Université de Nice, 1991.

Cet article est constitué de courts extraits de : Dernières nouvelles de Marie Suize alias Marie Pantalon, héroïne californienne de la ruée vers l’or, par Monique Fillion, pp. 64-66, in Des hommes, des lieux, des histoires, sous la direction de Monique Fillion, collection Amis du Val de Thônes n° 31, 2015.

Autres articles sur le sujet

Par Monique Fillion : 

  • Les chercheurs d’or en Californie et en Alaska, par Monique Fillion, pp. 91-98, in Emigrants de la vallée de Thônes dans le monde, sous la direction de J.-B. Challamel, collection Amis du Val de Thônes n° 16, 1991.
  • Dames de Haute-Savoie partout dans le monde, par Monique Fillion, pp. 165-174, in La femme dans la société savoyarde, XXXIVe congrès des sociétés savantes de Savoie, Saint Jean de Maurienne, 1993, publié par la Société d’histoire et d’archéologie de Maurienne, Tomes XXVII et XXVIII, 1992-1993.

Voir aussi l’article du journal Le Monde

3 réflexions sur « Dernières nouvelles de Marie Pantalon… »

  1. Une vie simple et grandiose, une véritable épopée d’une femme de caractère qui sans le revendiquer a fait tant pour le féminisme..
    J’aime beaucoup cette vie, ce caractère, cet esprit indépendant, cette femme du passé tellement présente dans nos cœurs et nos esprits.. je voudrais acheter des bouteilles de vin californien qui perpétue modestement mais concrètement son souvenir.
    Élie de Saint Jores

  2. Bonjour,
    Je viens de découvrir cette incroyable histoire de cette incroyable femme sur le site de France culture.
    Bravo pour votre travail !

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