Tout un fromage !

Les Amis du Val de Thônes vous invitent à leur prochaine causerie, qui aura lieu le vendredi 2 juin 2023 à 20h00 dans la salle des 2 Lachat située au-dessus de leur local d’exposition, au 1 rue Blanche à Thônes.

Elle sera animée par par Arnaud DELERCE, Docteur en histoire de l’EHESS, Directeur du château des Rubins (Sallanches), et aura pour thème :

Tout un fromage
Ce que dit l’histoire des fromages de Savoie

Tout le monde connaît les histoires de ces paysans des Aravis qui « reblochent » pour frauder le percepteur ou de ces cardinaux d’Avignon qui dégustent du fromage d’Abondance en 1381…


Au risque du sacrilège, Arnaud Delerce est remonté aux sources de ces récits peut-être un peu trop beaux pour être vrais… Il vous proposera de partir sur les traces du vrai fromage historique. Cette balade mènera de la Pologne à l’Égypte en passant par le nord-ouest de la Chine.
La focale se resserrera ensuite sur les Alpes médiévales où des sources vérifiables révèlent les noms et la nature des fromages d’alors.
Surprise (ou pas !) : il ne s’agit pas de ceux que l’on nous vend !

Entrée libre, invitez vos amis et connaissances, ils seront les bienvenus !

Le hêtre, un ami par temps de disette

Un arbre à feuilles caduques, assez commun à mi-altitude, atteignant 30 à 35 m de hauteur, pouvant devenir bicentenaire, notre Fayard, dit Fau anciennement, en latin fagus soit le hêtre, fut sollicité de façon inattendue de nos jours. On le connait comme très bon bois de chauffage, pour la réalisation de meubles, résistant pour les longs manches d’outils (haches, pioches, pelles, évitant les ampoules aux mains non calleuses). Il donna aussi de nombreux toponymes. Dans les périodes de catastrophes climatiques ravageant les récoltes habituelles, on évoque toujours qu’on se rabattait sur « les herbes », mais pas seulement.

Son fruit, la faîne, sorte de très petite châtaigne triangulaire de 2 ou 3 cm, dans une coque très dure, était donnée généralement aux porcs, mais une fois écrasée elle pouvait aussi fournir une sorte d’huile rancissant peu, comestible ou à usage d’éclairage. Le tourteau restant était donné aux volailles (mais toxique pour les chevaux). On pouvait aussi obtenir un genre de beurre, surtout utilisé contre les parasites. Avant toute chose il était d’usage de laisser macérer ces fruits dans de l’eau, pour éliminer les tanins assez toxiques. Toujours avec ces faînes, et aussi avec l’écorce intérieure du tronc, on obtenait également par broyage une sorte de farine pour confectionner des pains de survie en cas de pénurie, à la guerre comme à la guerre ! On utilisait l’écorce externe réduite en poudre, qui soit disant guérissait de la goutte et des rhumatismes. La faîne grillée pouvait se consommer, comme de nos jours, en apéritif, et les jeunes feuilles en salade.

Les branches tressées servaient aussi à confectionner des parois de granges, comme on a pu en retrouver à Serraval et au Bouchet. Avec les feuilles sèches on pouvait « pailler » les litières des vaches, si la paille venait à manquer.

Bref notre fayard, se révélait un ami utile quand misère survenait, mais aussi quand tout allait bien.

Philippe SALIGER-HUDRY

«Emmontagner», souvenirs d’enfance

Le Tavaillon – Grand Bornand 1959 – Crédit photo Photo Video Service

Chaque année depuis 1925, ma famille emmontagne à l’alpage du Tavaillon.

Le printemps 1953 – j’avais 10 ans – s’annonce précoce. Les belles journées de mars et avril ont eu raison du manteau neigeux. Tout laisse espérer une montée à la montagne début mai sauf intempéries de dernière minute ; car la météo en ces lieux est souvent capricieuse, voire un retour de la neige. Tout est possible. Continuer la lecture de « «Emmontagner», souvenirs d’enfance »

Vous dites reblochon ?

Un vocable si caractéristique des vallées de Thônes et des Aravis qu’il semble remonter à la nuit des temps…

Pas tout à fait vraisemblablement, mais du moins au Moyen-âge, lorsque les moines et autres seigneurs concédaient albergements [1] et autres admodiations [2] de leurs alpages aux éleveurs qui payaient annuellement une cense – un loyer appelé l’auciège – calculée au prorata du produit de la traite des vaches qu’ils menaient en alpage. Continuer la lecture de « Vous dites reblochon ? »

Dans la cour de récréation…

« Touché ! T’es fait prisonnier ! »

« Le fermier est dans son pré, dans son pré… ! »

Qui n’a pas entendu ces paroles résonner dans la cour de récréation de son école ! Eh oui, la récréation, moment très attendu par les enfants qui assis devant leur pupitre se levaient aussitôt que le maître avait annoncé « Allez, c’est l’heure de la récréation » après avoir entendu la cloche ou la sonnerie ! Avant de sortir, certains prenaient dans leur sac ou leur poche leur « goûter ». C’était souvent un morceau de pain et une barre de chocolat, une part de gâteau fait maison ou quelques biscuits, enveloppés dans un morceau de papier, grignotés par petits bouts ! Puis ce furent les « goûters prêts à être consommés », achetés déjà enveloppés.

Et de nos jours… plus de « goûters », ils sont interdits dans la cour de récréation !

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Ce moment privilégié qu’est la récréation n’a pas toujours existé. C’est en 1866 qu’un ministre de l’instruction publique aux idées avancées, Victor Duruy, institue la récréation : pause de dix minutes octroyée aux élèves pendant les cours de la matinée. De nos jours, les élèves des écoles primaires ont deux récréations de vingt minutes chacune, une le matin, l’autre l’après-midi.

L’atmosphère des cours de récréation était bien différente entre les écoles des villes et de la campagne. L’espace « cour » peut être un espace resserré entre les murs des alignements des classes ou au contraire ouvert sur le paysage alentour. Autrefois, il était souvent en terre battue ou recouvert de gravillons. A l’heure actuelle, la cour possède un revêtement goudronné. Le nombre d’enfants dans l’école a aussi son importance.

Si certaines écoles étaient mixtes dans les zones rurales, à cause du nombre d’élèves, filles et garçons étaient souvent scolarisés les unes à l’école des filles et les autres à l’école des garçons. Même si ces deux écoles étaient situées dans le même bâtiment, les cours de récréation étaient séparées, parfois par un grand mur comme au groupe Thurin, certains Thônains s’en souviennent encore ! La mixité n’a été rendue obligatoire qu’en 1975 par M. Haby, ministre de l’éducation nationale.
Filles et garçons ont des jeux en commun, mais certains jeux sont davantage pratiqués par les uns ou par les autres.

Le ballon prisonnier met en présence 2 équipes plus ou moins nombreuses sur un terrain représentant aux extrémités « les prisons ». Le porteur du ballon essaie de toucher quelqu’un du camp adverse pour l’envoyer en prison ! La partie commençait au début de la récréation… mais connaissait rarement de fin, à cause de la sonnerie marquant la fin de la récré !

Un, deux, trois, soleil ! Que de contestations entre les joueurs et le meneur de jeu ! « je t’ai vu bouger », « tu t’es pas arrêté quand je me suis retourné ! »…

Chat perché ! Dans les cours actuelles, peu d’emplacements existent pour y jouer !

Les 4 coins : Il est facile de tracer un grand carré sur le sol et de placer un élève à chaque coin, plus un au centre qui donne le signal. Aussitôt les joueurs se déplacent en courant soit sur les côtés, soit en diagonale et ne reste au centre que celui qui n’a pu trouver à se placer dans un coin !

recre_2Parmi les jeux qui demandent moins de participants, on peut citer la marelle tracée au sol qui permet, en poussant une pierre de cases en cases et en sautant à cloche-pied, de partir de la case Terre et au bout de 8 sauts d’arriver à la case Ciel !

« Tiens voilà main droite, tiens voilà main gauche… » se joue par deux, en se faisant face à face, les enfants frappent alternativement leurs mains sans se tromper et en chantant tout en accélérant le rythme des frappés.

recre_3Le jeu de l’élastique est relativement récent. Un très grand élastique est tendu entre les chevilles de deux joueurs. Un troisième doit sauter pour rassembler, croiser, les 2 côtés tendus de l’élastique… en faisant de multiples figures.

On peut jouer à la corde à sauter individuellement ou bien à trois, comme pour l’élastique, en chantant des comptines « Lundi, mardi, mercredi… » qui accompagnent les tours de corde.
Parmi les jeux de groupe figurait aussi celui de « Passe, passera, la dernière… » où par deux en se tenant les mains, on passait sous les bras tendus de ses camarades.

recre_4S’il est bien un jeu qui a occupé des générations d’écoliers, c’est celui des billes ! De nombreuses règles, adaptées par les enfants eux-mêmes, ont permis des parties mémorables : s’approcher le plus rapidement du « pot », poursuivre la bille adverse en faisant des « carreaux ». On gagnait ou perdait des billes. Mais que d’échanges ont été réalisés pour avoir la bille convoitée parce qu’elle était aux couleurs multiples ou à cause de sa taille : avoir un  « calot » ou un « boulet », quelle chance ! Eh bien, de nos jours ce jeu a été écarté des cours de récréation, car jugé trop dangereux…

D’autres jeux ont eux aussi complètement disparu des cours de récréation. Le jeu de balle(s) lancée(s) contre un mur, associé à des mouvements du corps pendant qu’une comptine était chantée : « d’une main, de l’autre main, bras croisés, double bras croisés, génuflexion… », ou bien Colin-maillard, aux gendarmes et aux voleurs ou à saute-mouton.

recre_5Quelques enfants ont joué aux osselets, jeu d’adresse où les 4 osselets plus « le roi », l’osselet rouge, devaient être lancés tour à tour ou par groupe, rattrapés selon des règles données.

Pour désigner le meneur d’un jeu, on plombait : « Caillou, ciseaux, papier » (le caillou écrase les ciseaux, qui eux-mêmes gagnent sur la feuille !).
D’autres ritournelles avaient aussi ce rôle « Am, stram, gram, pique et pique et colegram… » ou « Plouf plouf ce sera toi qui ira… » ou encore « Un petit cochon pendu au plafond… ». A chaque mot, l’enfant qui chantait touchait un des ses camarades. Celui sur qui tombait la dernière syllabe était choisi ou éliminé, selon la règle convenue. Des jeux de ronde qui n’existent plus guère sauf peut-être celui appelé la chandelle ou le facteur ou le mouchoir : les enfants sont assis en rond, un autre court autour et doit déposer un foulard derrière un de ses camarades sans que celui-ci s’en aperçoive.
La ronde était aussi l’occasion d’entonner des chansonnettes : « Le fermier est dans son pré, dans son pré… » ou « Si tu veux faire mon bonheur… » ou « Bague, bague, tu l’auras… ».

recre_6Une activité a passionné des générations d’enfants à partir des années 50 : les échanges d’images que l’on trouvait surtout dans les plaques de chocolat Poulain, Kohler, Cémoi…, dans le but de compléter sa collection. Ces images étaient ensuite collées sur des albums qui avaient pour thème la géographie, la vie des d’animaux, les minéraux, les grandes inventions…
Maintenant les enfant échangent des vignettes représentant des footballeurs ou des cartes du jeu de « Pokémon »… cartes qui ne sont plus trouvées au hasard des plaques de chocolat mangées, mais achetées !

Le jeu de football est toujours autorisé dans la cour de récré mais avec un ballon en mousse qui n’est pas dangereux pour les enfants jouant alentour.

La cloche ou la sonnerie donne le signal de rentrée dans la classe. A grands regrets les enfants d’aujourd’hui rangent ballons, élastiques ou cordes à sauter comme le faisaient voici quelques années leurs aînés avec les billes.
Ce temps de détente leur a permis d’avoir un moment de partage et de vie en groupe où des règles doivent être respectées. Et même si quelquefois surgissent des contestations plus ou moins brutales, la récréation reste un instant privilégié pour l’apprentissage de la vie en commun.

Et nous adultes, nous avons certainement de magnifiques souvenirs de nos récréations d’antan. Peut-être avez-vous joué à d’autres jeux non cités ici, aussi n’hésitez pas à nous faire part de vos souvenirs !

Danielle Perrillat-Mercerot

Illustrations :
Les albums et collections de Danielle Perrillat-Mercerot.
Les images anciennes sont tirées de Jeux, chants, rondes, comptines de G. Henri Blanc, 83570 Cotignac, édition à compte d’auteur.

Saints de glace, lune rousse et rogations

Ce sujet nous permet de voyager entre observations et croyances séculaires revêtues de traditions populaires. Ouvrons-le sur quelques considérations météorologiques.

Mamert, Pancrace et Servais, les trois mousquetaires du froid

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Saint Servais

Selon notre calendrier actuel, nous fêtons, le 11 mai : sainte Estelle, le 12 mai : saint Achille, et le 13 mai : sainte Rolande. Autrefois, à ces mêmes dates, on célébrait le 11 mai, saint Mamert (ou encore saint Philippe) ; le 12 mai, saint Pancrace et le 13 mai, saint Servais. Toujours appelés communément chez nous « les saints de Glace », ailleurs, on parle d’eux comme des « saints Grêleurs » ou encore, des « cavaliers du froid ».

Les agriculteurs les craignent comme le loup blanc car ils viennent souvent accompagnés de perturbations météorologiques, les unes assorties de vent froid ou de grésil, les autres de gelées cinglantes lors des nuits à ciel découvert. Ces dates immuables sont suivies dans certaines régions par saint Yves le 19 mai, ou précédées au cours du mois d’avril par saint Georges le 23, saint Marc le 25 et saint Aphrodise le 28 (remplacé aujourd’hui par sainte Valérie).

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Saint Pancrace

L’ethnologue Arnold Van Gennep[1] parle pour sa part d’un cycle de six jours. Il le positionne à cheval sur les trois derniers du mois d’avril et les trois premiers du mois de mai, journées qui s’inscrivent, de fait, en plein dans une période « à haut risque » de bise noire et de gel.

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Saint Mamert

La situation se complique encore un peu si l’on tient compte, également, de la lune rousse.
La Lune Rousse selon Michel VoisinOn appelle ainsi la lune printanière qui suit immédiatement la fête de Pâques. Pourquoi « rousse » ? Tout simplement car elle a la réputation de « roussir », et donc de brûler, les bourgeons naissants ainsi que les jeunes plantes au premier stade de leur développement, lors des nuits très claires.
Plus la fête de Pâques est célébrée tôt, plus la lune rousse a des chances d’être fidèle à sa mauvaise réputation. Il suffirait donc qu’elle tombe en pleine période de saints de glace, les risques de gelées en seraient multipliés par deux. C’est le cas en 2015 !
Durant cette période on pourra également vérifier le bien-fondé des observations relevées par nos anciens qui affirment que « lorsque la lune rousse commence en lion, elle se termine en mouton. » (Et lycée d’Versailles !)

Une autre période considérée autrefois comme occasionnant un temps perturbé est celle des Rogations, en patois Rogachon, Revéson, Ravaison.[2] Là, nous quittons le domaine des traditions profanes pour entrer dans celui des célébrations religieuses.

Bénédiction des Rogations au Villlard de Serraval dans les années 1980
Bénédiction des Rogations au Villard de Serraval dans les années 1980

On désigne par Rogations (du latin rogare c’est-à-dire prier) les trois jours de recueillement et de processions, avec interprétation du chant des litanies des saints, qui précèdent la fête du jeudi de l’Ascension.
C’étaient également autrefois trois journées de jeûne et de pénitence, en pleine période de temps pascal puisque fixée à moins de deux semaines de la fête de Pentecôte. On avait coutume de dire que « Pé lou Rogachons, l’premier jor yé por la faim ; l’douzième por l’bla et la méchon ; l’trézième por lou vindinges ». (Pour les Rogations, le premier jour est pour la faim ; le deuxième pour le blé et les moissons ; le troisième pour les vendanges).

La Chapelle
La chapelle, dessin de Louis Dumurgier (Récits des coutumes antiques des Vallées de Thônes)

Un peu d’histoire : dès le Ve siècle, saint Mamert (revoici notre saint prélat des saints de Glace !) alors évêque de Vienne, à la suite d’une série de calamités venues désoler son diocèse, prescrivit en pleine période pascale trois jours d’expiation durant lesquels les fidèles devaient se livrer aux œuvres de pénitence.
Le « nouveau » Larousse illustré affirme, lui, que cette tradition est très antérieure au Ve siècle de notre ère. Toutefois c’est bien saint Mamert qui la rendit obligatoire. Il choisit alors les trois jours qui précèdent le jeudi de l’Ascension. Et cette institution prit bientôt racine dans toute l’Église, sanctifiant ainsi une cérémonie agraire ancrée jadis dans les coutumes païennes, puisqu’elle date au moins du temps des Romains. On devine qu’elle avait pour objectif principal de demander aux dieux la protection contre les maladies des animaux et des plantes, ainsi que la faveur d’abondantes récoltes au moment des semailles et autres premiers grands travaux des champs.

Il est déjà bien loin le temps où, dans notre Vallée, les processions des Rogations partaient de Thônes et conduisaient les fidèles, à pied sur plus de 20 km aller-retour, jusqu’à Entremont quand le défilé des Etroits avait été plus particulièrement ravagé par les crues du Borne ou les avalanches, au cours du dernier hiver. Elles se dirigeaient parfois dans une toute autre direction, jusqu’à la chapelle du château de Menthon, lorsque les printemps étaient spécialement marqués par de fortes intempéries et par les ravages de la grêle. Mais l’expédition la plus habituelle conduisait les paroissiens jusqu’à Saint-Jean-de-Sixt. Ce long périple était coupé par une petite pause ménagée à mi-chemin, au hameau de Carouge en plein cœur du village actuel des Villards-sur-Thônes, à la croisée des itinéraires où d’autres pèlerins rejoignaient ceux qui étaient partis de Thônes.
Cela se passait dans la seconde moitié du XVIIe siècle…

Chapelle de Galatin
L’ancienne chapelle de Galatin (collection privée)

Plus près de nous, citons Claude Gay qui, en 1905 donc au tout début du XXe siècle, décrivit ainsi cette période de prières dans ses « Récits des Coutumes antiques des Vallées de Thônes » :
« Venaient les Rogations, les trois jours avant l’Ascension ; dans toutes les communes l’on faisait la procession de l’église à la chapelle qui se trouvait dans la commune : à trois chapelles différentes pour les trois jours ; des fois on restait une heure et demie pour y aller, mais en général une heure.
On portait tous une branche ou un paquet de petites branches ou tiges de noisetier qui avait poussé dans l’année, prises parmi les plus longues, on les appelait n’a ravaison ; c’étaient les trois jours de revaisons en procession à les chapale, aux chapelles.
En arrivant à l’église, le curé donnait la bénédiction de ravaison et chacun rentrait chez soi ; en arrivant à la maison, on coupait au pied de sa branche un morceau et on fendait l’autre morceau pour y introduire le petit bout, afin de faire comme une croix, et on allait les planter dans les champs labourés. »
Claude Gay raconte encore, qu’après la cérémonie des Rogations en la chapelle du Cropt, la procession des Clefs se rendait jusqu’à la Pierre aux Morts élevée après l’épidémie de peste noire des années 1348-1350, dans le champ de Belle Fleurie, à quelques pas de l’édifice dédié à Notre-Dame de l’Assomption. Le curé récitait alors la prière des morts, avant le retour au village.

Plus récemment à Thônes, les anciens se souviennent que les processions se rendaient le lundi à Galatin, le mardi au Calvaire et le mercredi à Thuy.
A Manigod, les fidèles se dirigeaient le lundi à la chapelle de Tournance, le mardi à celle du Villard-Dessous et le mercredi à celle de Joux.
Au Grand-Bornand on allait le lundi jusqu’à la statue de St Joseph située en bord de route du Chinaillon, le mardi jusqu’à la croix de Villavit et le mercredi jusqu’à la croix du Pin, sur la route du Bouchet. (Cette croix magnifique, monument historique classé, a été déplacée à la fin des années 80 et réinstallée à l’entrée du hameau de Lormay).
A Dingy-Saint-Clair enfin, on allait le lundi jusqu’à la croix des Curtils-bas, en haut du village, le mardi jusqu’à la croix du cimetière et le mercredi jusqu’à la croix de Chesseney.
Aux Clefs dans les années 1960-1970, les paroissiens partaient à pied dès 6 h du matin depuis l’église Saint-Nicolas. Ils étaient précédés d’un à deux hommes qui se relayaient pour agiter une clochette chargée d’éloigner les mauvais esprits le long de la route. (Nous avons vécu l’une de ces processions, où c’était Christin Lansard qui faisait office de sonneur de clochette, en tête de cortège). Suivait M. le curé (l’abbé Jean Vianay) en surplis blanc, escorté de deux enfants de chœur. Venaient alors une dame portant la bannière de la Vierge et enfin, deux par deux, des représentants de chaque famille du village, les hommes d’un côté, les femmes de l’autre.

La Chapelle du Cropt aux Clefs - Michel Voisin
La chapelle du Cropt aux Clefs (Photo Michel Voisin)

Le lundi on se rendait à la chapelle Notre-Dame-de-l’Assomption du Cropt. Le mardi à la chapelle Saint-Claude des Pohets. Le mercredi à la chapelle Saint-François de Sales des Envers. Ce jour-là, chacun entrait dans le petit édifice avec un faisceau de rameaux de noisetiers (coudriers) que l’on nommait donc « les ravaisons ». Ces branches, droites comme des lys et ornées en leur extrémité de feuilles nouvelles, étaient bénies par le prêtre juste après la messe. Dans la journée, elles étaient alors plantées (assorties d’un « Pater » ou d’un « Ave ») à l’angle ou au centre des propriétés pour s’assurer un an de protection et de fécondité. Il était coutume d’avoir autant de baguettes que de champs labourés. L’une d’entre elles allait être fixée, en forme de croix, sur la porte de l’étable ou de la grange. On l’ornait de fleurs le jour de la Saint-Jean, décoration qui persistait (même fanée) durant toute la saison d’été.
Autre particularité clertine : la cérémonie du mercredi des Rogations aux Envers ne se terminait qu’une fois que les participants étaient venus embrasser les reliques de la Vraie Croix, l’un des trésors de cette chapelle Saint-François de Sales fondée par le chanoine Jean-François Bétemps.
Notons qu’une dizaine d’années plus tard les pèlerins des Clefs se rendaient toujours vers les trois rendez-vous traditionnels : Le Cropt, Les Pohets et les Envers mais… en voiture.
Enfin au début de 3e millénaire, l’abbé Gaby Doche, curé du Val Sulens, célébrait encore une messe dans trois chapelles des quatre communes de son territoire : Manigod, Le Bouchet-Mont-Charvin, Serraval et Les Clefs.

A Thônes, la tradition des Rogations s’est éteinte beaucoup plus tôt. Elle fut remplacée par plusieurs messes célébrées dans les chapelles de hameaux au cours des deux mois de l’été.

Michel Voisin


[1] La Savoie, Arnold Van Gennep, Curandera Traditions, Aubenas, 1991
[2] Vie et traditions religieuses dans la vallée de Thônes, Revue annuelle proposée par les Amis du Val de Thônes, n° 13, p. 76 -78, 1988.

Chants et musique des Alpes

Les Amis du Val de Thônes proposent une causerie ouverte au public, entrée libre, le vendredi 6 février 2015, 20h30, salle des fêtes de Thônes, sur le thème :

Chants et musique des Alpes (compositeurs, chants et instruments traditionnels)

Conférence donnée par Nicolas Perrillat, musicien, chanteur, et spécialiste de l’étude musicologique des chants savoyards. Continuer la lecture de « Chants et musique des Alpes »

Les carclins : tradition thônoise

Le 13 avril dernier (2014), nous avons fêté Les Rameaux, le dimanche avant Pâques.

Pour le petit-déjeuner ou après la messe, un rameau de buis bénit à la main, certains se sont acheminés vers l’unique boulangerie de Thônes, rue des Clefs, où l’on trouve encore des carclins. On les trouve ce weekend-là seulement, seule trace subsistante de leur signification religieuse.

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Les carclins des Rameaux

Les carclins sont affaire de spécialistes, ils ne sont pas une pâtisserie domestique, ce qui souligne leur caractère de nourriture jadis votive, comme le sont les couronnes ou galettes des Rois, les crosets de la Saint-Blaise, etc. De nos jours, il s’agit d’un anneau de pâte briochée, peu sucrée, safranée. Autrefois, certains ajoutaient de l’anis dans la pâte qu’on bérolle en forme d’un long cigare dont les extrémités sont nouées avant la cuisson.

Cette tradition est apparentée au craquelin ou cartelin breton que l’on retrouve jusqu’en Poitou-Charente sous le nom de carcalin :

Le caractère savoyard du carclin trouve des références dans :

  • le dictionnaire savoyard (Constantin / Désormaux, 1902)
    • à « Carclin » : sorte de pâtisserie. “Fais saucette avec ce carclin dans ton chocolat.”
    • à « Ranpâr » (Rempart) : Le dimanche des Rameaux, ramô, désigné aussi à Thônes et Annecy, sous le nom de dimanche des ranpâr ou ranpô, nom patois du buis.
  • le Guide de la Haute-Savoie (Marc Le Roux, 1902, p. 139) J. Serand rapporte ainsi que « Le dimanche des Rameaux, les enfants portent à l’église une branche de rameau plantée dans une pomme ou entouré d’un gâteau appelé carquelin (carclin), et le soir les jeunes gens du village, accompagnés d’un joueur de violon, vont de maison en maison en chantant des complaintes jusqu’à ce qu’ils obtiennent des œufs, qu’ils mangent ensemble en un diner, le lundi de Pâques. »

Si vous ne les avez goûtés cette année, il vous faudra attendre 2015 !

Monique Fillion et Erwan Pergod