C’est un espace situé à la limite de l’enceinte du XVIe siècle, prolongé d’un terrain non loin du Nom, donc menacé. Elle doit son appellation à sa forme de terre-plein quadrangulaire1, entre le chemin du pont et la porte du couchant [voyez le plan de 1779]. Au XVIIIe siècle, elle est fermée de trois côtés par des maisons ; au milieu, une fontaine toute simple et, vers la porte dite « de Cier » ou du Carroz, elle ouvre encore sur des masures, des courtils et un chemin qui mène à Tronchine par un pont de bois.
Croquis du centre ville de Thônes en 1779
Les transformations commencent avec le projet de reconstruction (dès 1853) du pont à l’entrée de la ville, étroit, dégradé, précédé d’une rampe à 10%. La porte de Cier étant démolie (1838), on envisage en 1856-1857 d’agrandir la place bornée par ses constructions et jardins pour transférer vers le pont de Tronchine le marché aux bestiaux qui s’y tenait ; mais de délicates procédures d’expropriation, de même que le coûteux chantier du nouveau pont dit « à l’américaine » (1857-1859) entravent cette réalisation. Après les démolitions, on procède, en 1860, au nivellement du côté de Tronchine.
Toutefois, du fait de la modernisation de la bourgade sous l’impulsion de ses bienfaiteurs : Joseph Avet, dès 1860, puis les trois frères Agnellet qui se succèdent à la mairie, après l’Annexion, vu l’intérêt croissant des « étrangers » pour la montagne, l’idée du pré de foire s’efface devant la nécessité d’un espace public d’agrément et de promenade. Un décret présidentiel autorisant l’érection du monument en mémoire de Joseph Avet (26 août 1878), l’ancien « Carroz » devient la place Avet, consacrée lors de l’inauguration de la statue en septembre 1879. Des alignements d’arbres y sont plantés et plus tard on installe un élégant kiosque à musique2 pour divertir citadins comme « étrangers » lors des belles soirées estivales, en procurant tout loisir à l’active harmonie municipale d’y faire la preuve de ses talents. De même qu’à chaque Saint Joseph, elle vient donner l’aubade à la statue du bienfaiteur juchée sur son piédestal.
Thônes – La place Avet en 1910 – La statue Joseph Avet – Le bassin
Un siècle après son aménagement, la place Avet connaît un nouveau bouleversement, fin 1967 : le kiosque, vétuste, est démoli et la statue qui trônait au centre, en première ligne, a été mise de côté, son piédestal sévèrement raccourci – sic transit gloria mundi ! La réorientation volontairement touristique de la Vallée3 rendait en effet urgente la construction d’une maison du tourisme moderne et dynamique, pour promouvoir les atouts de la montagne en accueillant chaleureusement ses nombreux visiteurs, été comme hiver (1968).
Thônes – Le kiosque de la place Avet en 1925
Dernière étape, contemporaine : le regroupement (à partir de 2014), dans l’ancienne école des sœurs de la rue Blanche restructurée, d’un pôle culturel élargi = Bibliothèque, Musée, A.V.T., Office du Tourisme, conclu par la démolition de la maison du tourisme à l’entrée de la ville (2019). – En attendant le réaménagement de cet espace stratégique en perpétuelle évolution…
Jean-François Campario.
1 Cf. Constantin & Désormaux, Dictionnaire Savoyard, 1902 : « Quant à la place publique appelée le Câro, son nom lui vient de sa configuration qui était carrée. »
2 C’est en 1925 que Michel Rolland, président de la fanfare, le fait édifier par Eugène Fournier.
3 Le Bulletin Thônes et ses vallées, n° 2, 1967 le confirme : « Maison du Tourisme = à sa construction sera lié un aménagement de la Place Avet, qui doit être de plus en plus un centre d’attraction, de promenades, de repos et de sports. »
Illustration principale : La patinoire Place Avet en 1909
Fig. 1 Jusqu’à la fin des années 1960, le bourg est entouré de nombreux jardins. Ici, on repère le nouveau cinéma et la partie orientale de Thônes, avant le percement de la rue J.-J. Rousseau (1957) – Fonds A.V.T.
Fig. 2 Vue Générale de Thônes
Fig. 2 Dans les années 1950, la séparation entre le bourg et la campagne est encore marquée. On remarque au premier plan le groupe scolaire (achevé en 1913) et, sur la gauche, le nouveau lotissement des Besseaux – Fonds A.V.T.
Fig. 3 Vue Générale de Thônes
Fig. 3 Thônes avant 1957. Les champs sont encore nombreux et travaillés. Des extensions sont pourtant déjà en cours entre le Nom et le Fier, dans le quartier de la gare et, non visibles ici, vers les Perrasses – Fonds A.V.T.
Les Amis du Val de Thônes vous invitent à leur prochaine causerie, qui aura lieu le vendredi 2 octobre 2020 à 20h00 au 1 rue Blanche à Thônes, dans la salle des « 2 Lachat » située au-dessus de leur local d’exposition.
Elle sera animée par Jean-François Campario, Membre des Amis du Val de Thônes et aura pour thème : Le « Château » : Joseph Avet et le collège rénové de Thônes, les tribulations d’un grand projet
Les arcades sont apparues après l’incendies de 1453. Depuis, les 24 arches, d’une longueur de 120 mètres, constituent un marqueur fort de l’identité thônaine.
Cependant, elles ont souvent été aménagées, modifiées. Les arcades les plus anciennes sont les plus basses, les plus récentes sont souvent assez hautes.
Commerces et marchés, jeux d’enfants et promenades, équipement urbain comme les fontaines et l’éclairage… Elles sont le témoin des mutations d’un bourg très vivant.
Petit tour d’horizon avec des vues du XXe siècle…
ILLUSTRATIONS : Collection AVT – Sélection par J. D’Odorico.
Cette grande bâtisse jaune clair, située au milieu de la rue de la Saulne, est d’un style altier, genre « art déco primitif », avec un puits de lumière éclairant un magnifique escalier intérieur en bois desservant les 2 étages et les combles. Il y a de grandes hauteurs sous plafond, les pièces sont éclairées par de nombreuses fenêtres hautes et plein cintre, agrémentées de vitrages polychromes en leur partie sommitale. Un grand parc en agrémente les abords. Elle eut de nombreuses affectations et dénominations : Villa Agnellet, Hôtel de la Paix, Auberge Fleurie, École Maternelle et enfin Maison pour quelques associations et le Secours Populaire dans la cour. Retour sur les différentes époques…
Joseph Agnellet (maire de Thônes 1873-1877) fait construire cette grande villa avec son parc, vers 1865 ; elle touchait presque l’angle de celle de son frère François Agnellet (maire de Thônes 1865-1872) qui se trouvait au milieu de l’actuel rond-point de l’auto-école. Cette dernière sera plus tard désignée comme « maison Vacherand », démolie en 1909. Julien (né 1855-mort en 1905) fils dudit Joseph utilisera cette somptueuse demeure, comme domicile, mais sera souvent sur Paris, pour ses affaires ; il était directeur de la manufacture Agnellet frères à Thônes (fabrique de chapeaux). On rappelle que Joseph offrit entre autres, la belle fontaine de la place du Marché. François, Joseph et Parfait avaient fondé la chapellerie de Tronchine, avec des magasins à Paris (et même un au Mexique). Maurice (fils de Julien) habitant Paris puis parti au Maroc, vend en 1913 cet hôtel particulier, à Bernard Veyrat Durebex (1869-1953), fils d’un aubergiste de Manigod, qui fut aussi capitaine des Pompiers de Thônes.
Bernard Veyrat, après 1913, réaffecte et renomme cet édifice « Hôtel de la Paix » avec restaurant et toujours son grand parc. A cette époque il réunit la maison qui est à l’angle Nord-Est du parc, outre l’actuelle rue J-Jacques Rousseau, à ce bien immobilier, ainsi que l’annexe côté ouest contiguë au bâtiment principal. La partie restauration fut tenue par des Baussant puis des Mouthon. En 1923 Bernard Veyrat vend l’hôtel et l’annexe à Charles Gustave, dit Max Linder, suédois, fourreur à Paris.
La famille Linder entreprend de remonter l’hôtel d’un étage, ce qui ne va pas arranger dans le futur, l’état des murs des façades, très lézardées de nos jours. L’établissement se nomme toujours « Hôtel de la Paix », de nombreuses familles de Thônes y font leurs repas de noces. Max Linder semble avoir proposé la gérance à Monsieur et Madame Lantier dès 1944-45, puisque lui-même réside à Genève en 1944. C’est sa fille, épouse Bridel, habitant le canton de Vaud qui vend en 1951 aux Lantier
Le couple Lantier dans les années 50, renomme cet hôtel « Auberge Fleurie » et l’exploite quelques années, avant la revente à la Commune de Thônes en 1953.
Dès lors la Commune réaménage le bâtiment pour accueillir des colonies de vacances. Puis en 1955, elle décide de nouveaux travaux pour installer l’école maternelle qui vient de quitter la rue Blanche. De ce fait, il faut détruire un bâtiment étroit, tampon entre l’annexe et l’ancien hôtel, pour laisser un cheminement de sécurité joignant l’arrière de l’édifice, à la rue de la Saulne, coupant ainsi la continuité des façades de cette rue de la Saulne. En 1957, une partie du parc est cédée pour le passage d’une nouvelle rue rejoignant les Addebouts à la Tannerie Collomb, allongeant ainsi la rue de la Charrette : c’est l’actuelle rue Jean Jacques Rousseau, réalisée sous le mandat du maire Marcel Vulliet.
Une nouvelle école maternelle est construite en 1977,dans les anciens jardins du groupe Thurin (École primaire de la Curiaz) ; elle remplacera celle de l’ancienne Auberge Fleurie, qui perdura jusqu’au début des années 2000. De nos jours, les étages supérieurs abritent désormais 3 logements sociaux. Les autres locaux sont occupés par des Associations et le bureau des Gardes forestiers. L’ancienne salle de sport dans la cour est utilisée par le Secours Populaire.
Ph. SALIGER-HUDRY et J.-F. CAMPARIO, pour les Amis du Val de Thônes.
En 1962, Eugène VULLIET, fabriquant des cercueils comme quelques collègues menuisiers, investit dans l’achat d’un véhicule corbillard motorisé et monte sa société de pompes funèbres. C’est la fin d’une époque.
Jadis les enterrements avaient lieu dans l’église pour les officiers du culte, et dans le cimetière entourant l’église pour les paroissiens. A partir de 1794, des règles d’hygiène ayant été instituées, un cimetière séparé fut construit à l’arrière de la rue des Clefs, et la première personne qui y fut inhumée s’appelait Etiennette SONNIER née GOLLIET. Le transport se faisait à bout de bras depuis l’église, puis vint l’utilisation du char à bras jusqu’à ce que le corbillard tiré par un cheval ne débarque en guise de modernité. Le dernier « pilote » fut Alexandre FAVRE, dit Sandre CROZET.
Petite particularité thônaine liée à la conformation des lieux : le corbillard ne pouvait passer que rue des Clefs à cause de la présence de la voûte sur l’accès arrière du cimetière ; mais sur cette rue, le convoi funéraire devait s’arrêter devant la grande porte de l’ancien collège, elle aussi trop basse, afin que le corps soit à nouveau porté à bouts de bras ; la cour du collège traversée, le cortège pouvait enfin passer sous un grand préau et accéder au cimetière. Cela amusait beaucoup les élèves, en récréation ou aux fenêtres ! Cela dura jusqu’à la démolition du collège vers 1935.
Vue de la façade arrière de l’ancien collège, avec sa porte cochère trop basse pour le corbillard
Lorsque l’on cherche des renseignements dans les délibérations des anciens conseils municipaux, on ne trouve que peu de détails, ces réunions étant des chambres d’enregistrement suite au travail (non archivé) en commissions ; en revanche, les règles de fonctionnement du corbillard, certes outil de toute première importance, s’étalent sur plus d’une page du grand livre, suite à une remise à neuf complète pilotée par la commune en septembre 1932.
Le devis proposé par Monsieur Jean FOURNIER, ferronnier, fut approuvé à l’unanimité ; le montant était de 1757 Francs, dont 680 Francs pour les 4 baldaquins et 500 Francs pour la peinture « de luxe ».
Voilà les consignes instaurées par le conseil municipal à l’occasion de cette réfection :
Le corbillard équipé de ses panaches (1) et de ses lambrequins (2)
1) Les conseillers de chaque section signaleront les arbres placés en bordure des chemins publics dont les branches gênent le passage du corbillard ; les propriétaires de ces arbres seront mis en demeure par le garde champêtre de procéder à un élagage sous peine de remboursement à la commune des frais engagés à l’exécution du travail.
2) Il y aura lieu de ne pas sortir ou de tenir à l’abri le corbillard jusqu’au jour d’une sépulture.
3) Monsieur FOURNIER, adjoint, concevra un caisson en bois afin de protéger les panaches (1). Ceux-ci ne seront arborés qu’à l’entrée de la ville. Il sera également chargé de faire installer dans le hangar du corbillard un placard avec penderie afin de remiser à l’abri des poussières les lambrequins (2) et autres garnitures en étoffe.
4) Le cantonnier de la section ville est chargé du bon entretien du corbillard. Après chaque usage, il fera sécher, brossera et rangera dans le placard ad hoc toutes les garnitures en étoffe ; il enlèvera soigneusement avec une éponge humide toutes les traces de poussière ou de boue existant sur la carrosserie. Pour cette tâche, il sera rémunéré de 5 francs par sortie du corbillard dans la commune.
Quel sérieux, quelle précision, et quel respect collectif pour les familles endeuillées !
Jacques VULLIET
Le corbillard, au musée d’arts et traditions populaires du Val-d’Arly, à Ugine
(1) Panache : assemblage décoratif de plumes flottantes. Sorte de flambeau disposé en haut et de chaque côté du corbillard,
(2) Lambrequins : étoffes pendantes et découpées en festons, souvent ornées de franges et de glands, qui décorent les ciels de lits. Il existe des lambrequins de toile, de velours ; des lambrequins à franges et à glands…
Sources :
-Revues AVT N° 13 & 19 (Y. Angelloz, M.F. Emerich & A. Veyrat – Abbé G. Accambray)
-C.R. conseil municipal du 25.09.1932
–Histoire de Thônes par le Chanoine Pochat Baron.
Françaises en 1860 seulement, Thônes et ses vallées possèdent une autre particularité : elles furent parmi les derniers territoires à devenir savoyards au XVe siècle.
Il y a 600 ans, le 21 mars 1416, mourait à Rumilly, Blanche de Genève. Cette disparition allait accélérer la prise de possession de la vallée de Thônes par le duc de Savoie Amédée VIII. Cette possession devient effective l’année suivante, en 1417. La cérémonie du 28 décembre 1417 marque en effet l’incorporation définitive de la ville et du mandement de Thônes au duché de Savoie.
La rue Blanche porte ce nom en rappel des Dames Blanches, les veuves des comtes de Genève qui, au début du XVe siècle, possédaient la maison seigneuriale située au bout de la rue. Le seul vestige visible aujourd’hui est une porte avec linteau en accolade et imposte, possibles rescapés du grand incendie de 1453 qui détruisit tout le centre de Thônes.
Vues comparées du tracé de la rue Blanche en 1730, 1860 et 2014
Déjà, au début du XIXe siècle, le cimetière avait été transféré à son emplacement d’aujourd’hui. La rue Blanche doit son apparence actuelle à l’incendie du 24 octobre 1848 (16 maisons brûlées) : un nouvel alignement, en retrait, est alors décidé. Avant 1914, on y trouve la gendarmerie. Les premiers arbres sont plantés vers 1905 – 1910.
Dans la vue prise vers 1860, à l’angle du Carroz on voit l’école des filles qui vient d’être construite (1851-1853). On y installe d’abord, dès 1865, une salle d’asile (en fait une garderie pour les petits enfants de la ville). La parcelle contiguë, vide de tout édifice, est achetée en 1867-1868 pour construire un nouveau bâtiment (devis en 1870). Avec l’aide financière de Joseph Avet, un nouvel immeuble est réalisé dans la foulée : c’est l’actuel musée, qui porte encore son ancienne désignation « Asile Avet », dont la plaque a été détériorée par les bombardements de 1944. Jusque dans les années 1960, le rez-de-chaussée accueillait les enfants de la maternelle. Certains se souviennent de « la prison », un espace entre des doubles portes où les enfants les plus turbulents exécutaient leur punition !
La rue Blanche un jour de marché
Jusqu’en 1960, le bâtiment de l’ancienne école des filles, accueillait côté rue Blanche, le syndicat d’initiative et la bibliothèque. Les anciens Thônains se souviennent de la balade vespérale qui menait à l’observation du baromètre enregistreur à aiguille, pour connaître la météo du lendemain… Le syndicat d’initiative a longtemps été tenu par Melle Héloïse Mermillod. Jusqu’en 1955, elle donnait ses textes manuscrits à Mme Simone Burnier qui les dactylographiait. En 1968 le recteur Angelloz, maire, crée la bibliothèque municipale dans un petit local de l’ancien presbytère. Elle est tenue jusqu’en 1974 par Mme Péri, puis par les sœurs Monique et Maryse Domenge jusqu’en 1991. En 1988, Madeleine Pessey remplace Monique puis succède à Maryse Domenge. Dès 1975, Les Amis du Val de Thônes occupent l’entrée et un couloir d’accès au 1 rue Blanche. En 1994 ils font exécuter, à leurs frais, les travaux qui permettront l’aménagement de l’arrière-cour, du sous-sol, et surtout de la grande salle qui verra la création du Village du Val de Thônes en maquettes, unique création de ce type en Savoie.
Clin d’œil amusant : les photographies de 1860 et 2014 montrent en bas de la rue Blanche le même bâtiment, à peine construit ou en cours de rénovation. Dans la vue ancienne, c’est la « nouvelle » école des filles. Dans la vue récente, on devine sous les grues le nouvel aménagement du « pôle culturel » qui abritera la bibliothèque, Les Amis du Val de Thônes… Et depuis octobre 2015, nous savons que s’y trouvera aussi l’office de tourisme.
Avec la construction de l’office de tourisme en 1960, place Avet (maire : Antoine Bleyon), la réouverture du musée le 20 juin 1982, après sa restructuration initiée par le maire Jacques Golliet, puis le passage de la bibliothèque au rez-de-chaussée du musée, une première page s’était tournée. Mais aujourd’hui, s’opère un véritable Retour vers le futur, version Thônes !
Monique Fillion, Stéphane Chalabi, Joël D’Odorico
n.b. : cet article a également été publié dans le bulletin municipal de Thônes paru fin 2015.
Entre les années 286 et 302 ap. J.C., alors que les conquêtes romaines se poursuivent, des troupes campent dans la vallée du Rhône entre Martigny (capitale actuelle du Valais, alors appelée Octodurum) et le défilé d’Agaune (étroit défilé où coule le Rhône avant qu’il ne rejoigne le lac Léman). Maximien est à la tête d’une garnison composée de Thébains qui assurait le passage du Summus Poenius (col du Grand saint Bernard) vers la Germanie ou la Gaule. C’est là que se situe le massacre des soldats thébains et de leur chef Maurice. Ceux-ci, chrétiens coptes, refusant de vénérer les dieux romains, furent tous massacrés par décimation. Leurs corps furent enfouis dans une fosse commune.
Ce drame du martyre de saint Maurice et de ses compagnons est à l’origine de l’implantation du monastère d’Agaune qui deviendra l’abbaye Saint-Maurice-d’Agaune ou Saint-Maurice tout court. Il n’existe pas de relation des faits à l’époque de ce massacre. C’est bien plus tard qu’une narration écrite par saint Eucher, évêque de Lyon de 435 à 450, d’après des souvenirs d’Isaac, évêque de Genève, nous retrace l’histoire de cet épisode, récit tardif intitulé : « La passion des martyrs d’Agaune ». En voici quelques éléments pour nous permettre de découvrir le martyre de ces hommes.
Sous le règne de Dioclétien, vers 302, lui et Maximien partent en guerre contre les Bagaudes et les Alamans. Maximien, personnage avare, cruel, fanatique, païen, est à la tête d’une légion de 6600 hommes. Ces soldats, originaires de Thèbes, en Egypte, sont de braves guerriers, fidèles et montrant beaucoup de piété envers Jésus Christ. Maximien veut les contraindre à agir contre leur conscience en sacrifiant aux dieux romains et en persécutant d’autres chrétiens. Maurice et ses hommes refusent en disant : « Nous rendons à Dieu ce qui est à Dieu, à César ce qui est à César ». Maximien, enflammé de colère, décide une première décimation, c’est-à-dire un soldat sur dix est tué. Comme les soldats refusent toujours de vénérer les dieux romains, Maximien ordonne une seconde décimation. Mais Maurice continuait à exhorter ses camarades, disant à Maximien : « Nous sommes tes soldats, mais nous sommes aussi serviteurs de Dieu ». Sans plus de succès, Maximien décide par un seul arrêt de les exécuter tous. Ils périssent sous le glaive, tous les soldats quittant leur armure et présentant leur corps à leurs bourreaux. C’est le récit qu’en fait Eucher ! Même si certains faits sont historiquement exacts, les discours prêtés aux martyrs sont probablement nés de son talent littéraire.
Saint Théodore évêque d’Octodure (369-391) fit construire une basilique en l’honneur des martyrs sur le site d’Agaune.
Saint Maurice représenté en soldat romain, châsse des enfants de saint Sigismond, trésor de l’abbaye d’Agaune (By Spurzem at German Wikipedia – Wikimedia Commons)
Dès cette époque on trouve dans de nombreux lieux de culte, l’emblème de saint Maurice, c’est à dire la croix tréflée, croix dont les bras se terminent par trois lobes représentant les feuilles de la plante. Cette croix n’est pas sans rappeler la croix copte. On peut la voir sur les verrières de Hautecombe, sur les ferronneries du portail à Sallanches et à Megève, sur la Croix de Consécration et sur les murs dans les églises de Domancy, Cordon, Saint-Nicolas-de-Véroce, sur les clous de la porte de l’église de Séez et dans bien d’autres endroits.
Le culte voué à saint Maurice s’est répandu dans tout l’Occident. De nombreuses églises, chapelles, sont au vocable de saint Maurice et beaucoup de localités portent le nom de ce martyr. Très souvent Maurice est représenté sous les traits d’un homme de couleur noire, ce qui est tout à fait logique vu son origine. Du fait de la sombre couleur de sa peau, la piété en a fait le patron des teinturiers.
Le 1er évêque du Valais, saint Théodore fit exhumer les corps des martyrs. Une chapelle fut construite avec une nécropole. Ce site se trouve sur un ancien petit temple dédié aux divinités des sources, les nymphes. Sous le maître autel est placée une magnifique châsse contenant les reliques de saint Maurice et ses compagnons. L’endroit supposé du massacre a été appelé « le Champ des Martyrs ». Il est recouvert de gravier rougi, depuis qu’au IVe siècle, saint Martin de Tours est venu prier sur le lieu et que par miracle, une rosée de sang apparut sur le sol. Un peu de rosée a été recueillie dans 4 vases, dont un seul demeure dans le trésor de l’abbaye.
L’empereur Sigismond, après sa conversion, réunit un concile près des tombeaux. La décision de fonder une abbaye fut prise en 515. Construite près d’une falaise, elle fut plusieurs fois endommagée par des chutes de pierres. Le rayonnement de cette abbaye a été très important et le rythme de vie des moines d’Agaune, qui pratiquaient « la louange perpétuelle », a été exporté dans de nombreuses autres abbayes (Saint-Claude, Chalon-sur-Saône, Remiremont…). Dagobert se rend sur le tombeau de saint Maurice en 635. Plus tard, Charlemagne fait don à l’abbaye d’une magnifique aiguière en argent ciselé sur laquelle on retrouve la Croix tréflée et d’un maître autel recouvert d’or. Après le concile de 816 à Aix-la-Chapelle les moines sont remplacés par des chanoines.
A partir de 888, l’abbaye appartient au Royaume de Bourgogne. En l’an 1000, l’archevêque de Lyon est nommé Abbé de Saint-Maurice. Rodolphe III en 1018, à la demande de sa femme, place la villa royale de Talloires sous le vocable de Saint-Maurice. A partir de là, Talloires va fonder, à Annecy-le-Neuf, une église dont le patron est saint Maurice. A Thônes l’église sera placée sous le même vocable. La scène du massacre des martyrs constituera le thème du tableau central du retable, incluant une représentation de Jupiter, image insolite dans une église, juste au-dessus du maître autel ! Au bas de ce tableau, dans quatre emplacements on trouve successivement, les représentations des armes de saint Maurice. Tous ces éléments symboliques rappellent que tout chrétien est un soldat du Christ ainsi que le prêchait saint Paul.
La croix de saint Maurice
La Maison de Savoie fait de saint Maurice un instrument du pouvoir politique Des groupes de chanoines font sécession et fondent d’autres abbayes : Abondance qui sera présidée par les princes de Faucigny, Entremont, le Prieuré de Poisy… Le Comte Rouge Amédée VII crée Ripaille et y installe des chanoines venus de Saint-Maurice. Son fils Amédée VIII crée l’Ordre des Chevaliers de saint Maurice qui aura un rôle caritatif important (création de l’orphelinat du Bocage à Chambéry par exemple).
Le culte voué à saint Maurice s’est très vite développé en Savoie. Nombre d’églises sont placées sous son vocable : Veyrier, Doussard, Abondance, Pringy, Alby, Bellevaux, Boëge, Serraval… Son culte a dépassé les frontières de notre province puisque des cathédrales sises au-delà sont aussi dédiées à saint Maurice : Vienne, Angers, Mirepoix…. Des villages et villes sont appelés du nom du saint ou lui vouent un culte important, aussi bien en Savoie – Bourg-Saint-Maurice, Saint-Maurice-de-Rumilly – qu’au-delà des frontières – Pignerol dans le Piémont, Lucerne en Suisse (pont historique dédié au saint), Magdebourg en Allemagne, Riga en Lettonie… A Tallin en Estonie, on peut admirer « la maison des têtes noires » où le blason de saint Maurice représente le saint en Maure.
Maurice est un personnage des plus importants pour la Savoie. L’anneau de saint Maurice est l’emblème de la maison de Savoie. Un prestigieux ordre dynastique a été créé en son honneur : l’ordre des saints Maurice et Lazare. Aujourd’hui encore de nombreux hommes se prénomment Maurice et jadis beaucoup de femmes portaient le prénom Maurise ou Maurisaz.
D’après la conférence donnée par Christian Regat aux Amis du Val de Thônes le 02.12.2011
En 2015, sera célébré le 1500e anniversaire de la fondation de l’abbaye de Saint-Maurice. Depuis longtemps déjà on s’affaire aux préparatifs, aux aménagements du site. Ainsi, la salle du trésor sera réorganisée. Pendant les travaux, le trésor fera l’objet d’une exposition temporaire au Louvre, à Paris, en 2014. Cet anniversaire exceptionnel sera présidé par le Pape François. Le premier Pape jésuite saisirait-il cette opportunité pour aller jusqu’à Annecy, ainsi qu’il l’a prévu, sanctifier le premier prêtre de la Compagnie de Jésus, le Bienheureux Pierre Favre ?
Le somptueux retable de l’église de Thônes présente des particularités rares, liées au martyre de saint Maurice. Le tableau central, où tient une grande place l’effigie de Jupiter, permet de dire qu’à Thônes, peut-être cas unique de la chrétienté, on dit la messe devant une idole antique ! D’autre part au plan esthétique ce tableau peint sur un panneau en ronde-bosse montre une tache noirâtre en bas, entre les pieds du cheval et le pied de la stèle de Jupiter. La tradition orale, sans aucune vérification historique ni scientifique, voudrait nous faire croire qu’il s’est agi de masquer les corps décapités des compagnons de Maurice. Cela fut peut-être exécuté lors de la restauration de l’église Thônes après les dommages causés par la Révolution. En 1822, Charles Pedrino, Jean-Baptiste et Charles Delponte, artistes de la Val Sesia, ont conçu un nouveau tabernacle dans l’esprit du XIXe s., c’est-à-dire sans la « gloire » caractéristique du baroque qui cachait auparavant le bas du tableau.
Les foires de la Saint-Maurice
Traditionnellement situées autour du 22 septembre, jour de la célébration du saint, elles ont lieu lorsque les troupeaux descendent des alpages. C’est à ce moment-là qu’on vend des animaux afin de réduire le cheptel à garder durant l’hiver. Le produit des ventes permettait jadis d’acheter le nécessaire pour la famille.
Dans son histoire de Thônes, le chanoine Pochat-Baron nous dit que la foire annuelle de la Saint-Maurice existe « de temps immémorial ». C’est ce que les historiens affirment lorsqu’aucun repère précis ne l’établit. Ce qui est le cas en la circonstance puisque nous ne savons quand exactement a été fondée la paroisse de Thônes au vocable de saint Maurice. On peut supposer que dès les origines – Thônes est cité en 1090 – les abbés de Talloires ont tenu à organiser un lieu d’échanges de marchandises afin d’en obtenir les revenus nécessaires à la vie de la communauté. Et ceci bien avant que le marché de Thônes ne soit créé en 1312. On peut également se demander pourquoi Serraval, aussi au vocable de saint Maurice, n’a jamais eu sa foire… Et se demander aussi pourquoi il existe au Grand-Bornand une foire de la Saint-Maurice depuis le XIXe siècle alors que la paroisse et l’église sont dédiées à Notre-Dame de l’Assomption ?
Le champ de la recherche est ouvert à tous les passionnés du Moyen Âge !