Les trois châteaux des Clefs-sur-Thônes

Contrairement à Saint-Paul-Trois-Châteaux, commune du sud de la Drome, le chef-lieu des Clefs avait vraiment 3 châteaux. Le site drômois n’a de 3 châteaux que le nom, venu d’une erreur de traduction du mot latin Tricastin, homonyme de l’appellation de la tribu gauloise locale.

Aux Clefs on évoque volontiers ses deux châteaux, celui des nobles « des Clets » et l’autre au comte de Genève. Mais un troisième, en fait « une maison forte » était insérée entre les 2 premiers. Le château initial, était juché sur un « char » rocheux et herbeux, faisant promontoire. Ce site est au confluent du Fier rivière impétueuse venant de Manigod et du torrent du Chamfrey issu du vallon des Clefs. Juste en dessous, enjambant le Fier un pont à péage permettait d’accéder à cette forteresse de presque l’an mil.

La famille noble « des Clets », ayant participé à la 3ème croisade de 1189 en orient, est une des premières citées en nos vallées ; pour y bâtir un château, elle investit le meilleur endroit stratégique soit le côté nord de cette croupe dénudée, plus propice à protéger et bon point de vigie. Sur le plan de 1730, on peut observer que le corps du bâtiment principal était dans le sens nord-sud, alors que le manoir reconstruit par les notaires Dépommier, avec les anciennes pierres, est orienté est-ouest. On a tendance à parler de la baronnie des Clets, sans toujours se rappeler qu’elle n’a été élevée à ce rang qu’en 1569. En 1730 « le château dernier » est noté appartenant au marquis de Thônes, suite à diverses successions. Lors de fouilles en 1840 des pièces de monnaies anciennes, romaines, ont été retrouvées sur ce site, ce qui pourrait évoquer une occupation très ancienne de cette butte.

Lorsqu’ultérieurement, vers 1300, le comte de Genève s’incruste dans la politique de nos vallées, il n’a le choix que de fortifier la partie sud du même site. Sur la mappe sarde de 1730, on voit apparaitre au n° 2517 une dénomination « la tour », le château proprement dit, ruiné avant 1540, étant légèrement plus au nord à l’emplacement de la « maison Vallier » de 1950 (ou l’école récente). A partir de 1394, avec la fin de la lignée des « de Genève » on peut parler du château des comtes de Genevois, échu à la famille des comtes puis ducs de Savoie, qui l’inféoderont à divers châtelains. Cette « location » de la « partie comte de Genevois » impliquant la moitié de la châtellenie des Clets, sera élevée en Marquisat dès 1682, pour en obtenir plus de revenus, de la part de ces châtelains ; d’où la mention sur la mappe de 1730 de la tour appartenant au marquis de Thônes.

Notre fameux 3ème « château », plus modestement maison forte dite du Marest, encore citée visible en 1545, était bâtie sur un tertre rocheux, entre les deux vrais châteaux ; son site recreusé, sera effacé par la construction de la nouvelle église en 1830 (l’ancienne église était dans le cimetière actuel). Ce fut le siège de la rente de Boringe et du Marest, qui sera revendue aux nobles du Rouvenoz, par la suite devenue obsolète, par les rachats féodaux des communes concernées, entre 1769 et 1786.

Philippe SALIGER-HUDRY


LE CHÂTEAU DES CLEFS à l’époque du notaire DEPOMMIER ; les murs de soutènement reprennent les fondations du château médiéval, qui devait être impressionnant ! (Fonds AVT)

LE PROMONTOIRE DES CLEFS avec peu de végétation, vers 1890 : un site facile à défendre ! (Fonds AVT)
Plans 1730 (en bas) et 1925 (en haut) du chef-lieu des Clefs. Croquis de Philippe SALIGER-HUDRY

Malle-poste, diligences et cartes routières en Savoie et en France au XIXe siècle

Les Amis du Val de Thônes vous invitent à leur prochaine causerie, qui aura lieu le vendredi 9 décembre 2022 à 18h00 dans la salle des 2 Lachat située au-dessus de leur local d’exposition au 1 rue Blanche à Thônes.

Elle sera animée par Pascal PANNETIER, membre des Amis de Viuz-Faverges et historien de la cartographie routière, et aura pour thème :

Malle-poste, diligences et cartes routières en Savoie
et en France au XIXe siècle

A partir de cartes des relais de postes du duché de Savoie, nous évoquerons l’évolution des routes de poste au cours du XIXe siècle, période riche en événements importants pour la Savoie et la France…

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Dernières nouvelles de Marie Pantalon…

C’est grâce à Monique Fillion que la figure de Marie Pantalon a été sauvée de l’oubli. Au fil d’articles et de conférences, elle retraça l’histoire incroyable de cette Thônaine qui acquit fortune et célébrité en Californie lors de la ruée vers l’or.

Derniers éléments recueillis sur son incroyable parcours…

Partie du Havre pour San Francisco

Des recherches ont été entreprises auprès des archives de Seine-Maritime pour retrouver le passage de Marie Suize vers la Californie et les conditions de son voyage. Ainsi qu’elle l’affirmait à des journalistes du Nevada à la fin de sa vie (1892),  elle a bien voyagé comme un homme depuis Le Havre jusqu’à San Francisco. Elle est enregistrée comme « voyageur de commerce » sur le livre de bord du Ferrière, un navire tout juste mis à la mer. Quand elle arrive à San Francisco, Cap Horn doublé dans le mauvais sens, elle est la 11ème « Française » [au sens de francophone puisqu’elle est savoyarde et ressortissante du Royaume de Piémont-Sardaigne] à débarquer dans cette ville (1).

Extrait de la liste des passagers du Ferrière en juin 1850

Un témoignage précieux est donné par une lettre de Maurice Lacombe, de Scionzier (Haute-Savoie), à sa famille, en 1891 :

De ce moment, je travaillais avec une demoiselle de Tône qui m’a raconté l’histoire de Gimet de Reposoir et de Jakard de Châtillon. C’est elle qui la donné l’argent pour le voyage. En 1850, elle s’est fait couper les cheveux, acheté des bottes, elle c’est habillé en homme et a partit a la recherche de l’or.

Le « Jakard » en question correspond à François Jacquart, également inscrit comme voyageur de commerce et compagnon de Marie sur le Ferrière. Notons que le sexe de cette dernière n’est pas mentionné dans la liste des passagers et qu’elle porte un prénom alors opportunément commun aux hommes et aux femmes !

« Jeanne d’Arc » puis « Marie Pantalon »

Chercheuse d’or chanceuse, Marie exploite des filons fructueux avec ses équipes. C’est elle qui signe les accords, mène ses troupes et sait défendre ses tunnels les armes à la main. Des Canadiens et le « Kennedy Gang » sauront combien il en coûte de s’attaquer à la « Jeanne d’Arc », son surnom. Elle gagne son autre surnom « Marie Pantalon » au fait qu’elle porte toujours ce vêtement qui lui va mieux que tous les autres, aux dires de ses concitoyens.

Évidemment, elle n’échappe pas aux procès ni aux amendes pour avoir transgressé l’ordre : le travesti est alors interdit en Californie, comme au Nevada. Trois fois on voudra la contraindre à s’habiller en femme, d’autant qu’elle prétend bénéficier d’une vieille loi espagnole toujours en vigueur en Californie, permettant aux femmes seules d’exploiter un petit commerce sans payer l’impôt ! Elle paiera toutes les amendes mais restera fidèle au pantalon.

Femme d’affaires avisée, elle achète des terres pour exploiter non seulement le sous-sol mais aussi mettre en valeur la riche terre en surface. Première à produire du vin dans cette partie de la Californie, elle possèdera 30.000 pieds de vigne, cépage Zinfandel, d’origine hongroise, venant probablement de l’est des États-Unis. Elle produit d’autres fruits et aussi des mûriers. Elle est alors propriétaire d’un ranch prospère, réputé pour son vin et son brandy, qu’elle vend dans les magasins de Virginia City (Nevada) ou de San Francisco. Ses annonces dans les journaux pour promouvoir ses produits parlent de Madame Mary Suize Pantaton, ou de Mrs Pants, selon la respectabilité qu’elle veut se donner.

Publicité de 1870 pour le vin produit par Marie Suize Suize

Mais elle aime aussi jouer en bourse, pouvant aller jusqu’à perdre 150.000 dollars en une seule séance. Finalement, elle se laisse entrainer dans l’aventure du Comstock Lode, ce filon d’or et d’argent qui promettait monts et merveilles et qui la ruinera, comme tous les autres.

Morte dans l’anonymat

Ainsi, celle qui selon Maurice Lacombe, « nous dit souvent à moi et à Tardy qu’elle a rempli une caisse d’un mêttre cube d’or. Mais où est ce temps ; il y en a encore, mais plus rare », est morte sans un sou, enterrée dans une tombe inconnue. Celle qui en 1870 déjà, était présentée comme la championne de la revendication pour les droits des femmes en Californie, n’a pas eu droit à la moindre pierre tombale.

Injustice réparée le jour du 180ème anniversaire de la naissance de Marie, par la pose d’une plaque commémorative, lors d’une cérémonie conjointe du comité d’histoire local et des Amis du Val de Thônes. C’était à Jackson, comté d’Amador, en Californie, le 14 juillet 2004.

Cérémonie pour la pose de la stèle commémorative en 2004 à Jackson

Monique Fillion (†)

Sources

(1)- Claudine Chalmers, L’aventure française à San Francisco pendant la ruée vers l’or, 1849-1854, doctorat de civilisation américaine, Université de Nice, 1991.

Cet article est constitué de courts extraits de : Dernières nouvelles de Marie Suize alias Marie Pantalon, héroïne californienne de la ruée vers l’or, par Monique Fillion, pp. 64-66, in Des hommes, des lieux, des histoires, sous la direction de Monique Fillion, collection Amis du Val de Thônes n° 31, 2015.

Autres articles sur le sujet

Par Monique Fillion : 

  • Les chercheurs d’or en Californie et en Alaska, par Monique Fillion, pp. 91-98, in Emigrants de la vallée de Thônes dans le monde, sous la direction de J.-B. Challamel, collection Amis du Val de Thônes n° 16, 1991.
  • Dames de Haute-Savoie partout dans le monde, par Monique Fillion, pp. 165-174, in La femme dans la société savoyarde, XXXIVe congrès des sociétés savantes de Savoie, Saint Jean de Maurienne, 1993, publié par la Société d’histoire et d’archéologie de Maurienne, Tomes XXVII et XXVIII, 1992-1993.

Voir aussi l’article du journal Le Monde

Les cabanes de bucherons

Samedi matin, Juliette et Pierre viennent de rentrer du marché. Pendant que Juliette range les courses, j’interroge Pierre, de Glapigny (Thônes) :

Tu as déjà fait une cabane comme celle-là ( Fig.1) ?
Une fois, « aux 4 lettres », sur le chemin qui va au Dard. Sur le cadastre, c’est au croisement des lettres HIJK, c’est pour ça qu’on dit « aux 4 lettres ». C’était vers 1965, peut-être 1966.

A quoi elle servait ?
On n’y dormait pas, on n’était pas très loin de la maison. C’était plutôt un abri, un refuge en cas de mauvais temps et pour le casse-croûte. On y avait amené un fourneau. C’est que les coupes prenaient du temps : couper les arbres, les ébrancher, les écorcer. Puis installer le câble, débiter les billons, les faire glisser jusqu’au câble. Les descendre… C’est plusieurs mois de travail, on commençait au printemps, posait le câble en août et descendait les billons à partir de novembre.

D’où vient l’idée d’une cabane ?
Les cabanes étaient assez courantes pour les grandes coupes de bois, au moins 300 à 400 mètres cubes, souligne Paul, qui nous a rejoint. Lors d’une précédente coupe, vers 1945-48, il y avait déjà eu une cabane pas très loin. Elle avait été faite par les Pisenti, deux frères et leur père. Ils étaient italiens, habitaient Thônes, rue des Clefs. Et eux, ils y dormaient. Venir tous les jours depuis Thônes à pieds, ce n’était pas possible. Ils n’avaient pas le choix ! Alors la semaine, ils y restaient. Quels travailleurs !
Ils descendaient le bois avec des rises (1) : les billons étaient guidés par des perches, ils glissaient sur ces rigoles. Quand ils prenaient trop de vitesse, on interrompait la rise et ils glissaient sur un champ par exemple. C’était beau, ce travail, mais dangereux ! Après, les câbles ont remplacé cela.

Comment on la construit ?
Il faut choisir un endroit plat, avec 4 arbres pour former un quadrilatère. Cela ne prenait pas beaucoup de temps : à 3 ou 4 personnes, c’était fait en 2 jours à peu près. De toute façon il fallait aller vite car les écorces devaient être posées avant de s’enrouler et de casser. Les écorces servaient pour les murs et le toit. On cherchait des épicéas assez gros. Près du pied, on évite les nœuds, ça va bien. On délimite les bords à la hache et on enlève les plaques d’écorce avec un pelieu à sève (2). Comme les arbres étaient en sève, cela fait assez bien. Attention, pas de sapin car l’écorce saute et éclate sans arrêt. On coupait des perches, les attachait aux 4 sapins qui délimitaient la cabane avec des écorces ou du noisetier. Puis on fixait les écorces, avec les meilleurs morceaux pour le toit. On vérifiait l’étanchéité, on ajoutait parfois une deuxième épaisseur sur le toit. La pluie ne passait pas pendant toute la durée du chantier, c’était efficace !

Détail troublant : en 1965, pendant que ses frères faisaient une coupe à Glapigny, Maurice fait du bois à Alex. Une cabane est également faite, mais en planches, et ces dernières amenées avec une jeep. Quelle évolution ! Et ces éphémères cabanes d’écorce, utilisées depuis des siècles, ne surgissent plus au hasard de nos promenades…

Merci à Juliette, Pierre, Maurice et Paul Porret.

Propos recueillis par Stéphane Chalabi.

Fig. 1 Cabane de bucherons dans la forêt du Mont (Thônes) vers 1936 – Photo fonds R.B.

Fig. 2 Hutte de bucherons vers 1905 – Carte postale fonds AVT.

Le patronyme Favre en Pays de Thônes et les Favre-Marinet

Philippe Saliger-Hudry nous explique les différentes branches du nom FAVRE dans le Pays de Thônes : cliquez-ici pour lire l’article

Michel Favre-Marinet nous fait l’honneur de partager avec nous ses recherches sur le patronyme Favre-Marinet, dont il nous explique la formation du nom et les origines à Saint-Jean-de-Sixt au XVIIIe siècle : cliquez-ici pour lire l’article

Hommes et torrents dans les Bornes-Aravis – Vendredi 5 octobre

Les Amis du Val de Thônes vous invitent à leur prochaine causerie, qui aura lieu le vendredi 5 octobre 2018 à 20h00 au 1 rue Blanche à Thônes, dans la salle des « 2 Lachats » située au-dessus de leur local d’exposition.

Elle aura pour thème : « Hommes et torrents dans les Bornes-Aravis » et sera animée par Robert Moutard, géographe. Continuer la lecture de « Hommes et torrents dans les Bornes-Aravis – Vendredi 5 octobre »

Grottes remarquables du Pays de Thônes – Vendredi 15 juin

Les Amis du Val de Thônes vous invitent à leur prochaine causerie, qui aura lieu le vendredi 15 juin 2018 à 20h00 au 1 rue Blanche à Thônes, dans la salle des « 2 Lachats » située au-dessus de leur local d’exposition.

Elle aura pour thème : « Les grottes remarquables du Pays de Thônes » et sera animée par le Spéléo Club d’Annecy.

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«Emmontagner», souvenirs d’enfance

Le Tavaillon – Grand Bornand 1959 – Crédit photo Photo Video Service

Chaque année depuis 1925, ma famille emmontagne à l’alpage du Tavaillon.

Le printemps 1953 – j’avais 10 ans – s’annonce précoce. Les belles journées de mars et avril ont eu raison du manteau neigeux. Tout laisse espérer une montée à la montagne début mai sauf intempéries de dernière minute ; car la météo en ces lieux est souvent capricieuse, voire un retour de la neige. Tout est possible. Continuer la lecture de « «Emmontagner», souvenirs d’enfance »