Saint Maurice et les foires de la Saint-Maurice

Saint Maurice, patron de la Savoie

Entre les années 286 et 302 ap. J.C., alors que les conquêtes romaines se poursuivent, des troupes campent dans la vallée du Rhône entre Martigny (capitale actuelle du Valais, alors appelée Octodurum) et le défilé d’Agaune (étroit défilé où coule le Rhône avant qu’il ne rejoigne le lac Léman). Maximien est à la tête d’une garnison composée de Thébains qui assurait le passage du Summus Poenius (col du Grand saint Bernard) vers la Germanie ou la Gaule. C’est là que se situe le massacre des soldats thébains et de leur chef Maurice. Ceux-ci, chrétiens coptes, refusant de vénérer les dieux romains, furent tous massacrés par décimation. Leurs corps furent enfouis dans une fosse commune.
Ce drame du martyre de saint Maurice et de ses compagnons est à l’origine de l’implantation du monastère d’Agaune qui deviendra l’abbaye Saint-Maurice-d’Agaune ou Saint-Maurice tout court. Il n’existe pas de relation des faits à l’époque de ce massacre. C’est bien plus tard qu’une narration écrite par saint Eucher, évêque de Lyon de 435 à 450, d’après des souvenirs d’Isaac, évêque de Genève, nous retrace l’histoire de cet épisode, récit tardif intitulé : « La passion des martyrs d’Agaune ». En voici quelques éléments pour nous permettre de découvrir le martyre de ces hommes.

Sous le règne de Dioclétien, vers 302, lui et Maximien partent en guerre contre les Bagaudes et les Alamans. Maximien, personnage avare, cruel, fanatique, païen, est à la tête d’une légion de 6600 hommes. Ces soldats, originaires de Thèbes, en Egypte, sont de braves guerriers, fidèles et montrant beaucoup de piété envers Jésus Christ. Maximien veut les contraindre à agir contre leur conscience en sacrifiant aux dieux romains et en persécutant d’autres chrétiens. Maurice et ses hommes refusent en disant : « Nous rendons à Dieu ce qui est à Dieu, à César ce qui est à César ». Maximien, enflammé de colère, décide une première décimation, c’est-à-dire un soldat sur dix est tué. Comme les soldats refusent toujours de vénérer les dieux romains, Maximien ordonne une seconde décimation. Mais Maurice continuait à exhorter ses camarades, disant à Maximien : « Nous sommes tes soldats, mais nous sommes aussi serviteurs de Dieu ». Sans plus de succès, Maximien décide par un seul arrêt de les exécuter tous. Ils périssent sous le glaive, tous les soldats quittant leur armure et présentant leur corps à leurs bourreaux. C’est le récit qu’en fait Eucher ! Même si certains faits sont historiquement exacts, les discours prêtés aux martyrs sont probablement nés de son talent littéraire.
Saint Théodore évêque d’Octodure (369-391) fit construire une basilique en l’honneur des martyrs sur le site d’Agaune.

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Saint Maurice représenté en soldat romain, châsse des enfants de saint Sigismond, trésor de l’abbaye d’Agaune
(By Spurzem at German Wikipedia – Wikimedia Commons)

Dès cette époque on trouve dans de nombreux lieux de culte, l’emblème de saint Maurice, c’est à dire la croix tréflée, croix dont les bras se terminent par trois lobes représentant les feuilles de la plante. Cette croix n’est pas sans rappeler la croix copte. On peut la voir sur les verrières de Hautecombe, sur les ferronneries du portail à Sallanches et à Megève, sur la Croix de Consécration et sur les murs dans les églises de Domancy, Cordon, Saint-Nicolas-de-Véroce, sur les clous de la porte de l’église de Séez et dans bien d’autres endroits.
Le culte voué à saint Maurice s’est répandu dans tout l’Occident. De nombreuses églises, chapelles, sont au vocable de saint Maurice et beaucoup de localités portent le nom de ce martyr. Très souvent Maurice est représenté sous les traits d’un homme de couleur noire, ce qui est tout à fait logique vu son origine. Du fait de la sombre couleur de sa peau, la piété en a fait le patron des teinturiers.

Le 1er évêque du Valais, saint Théodore fit exhumer les corps des martyrs. Une chapelle fut construite avec une nécropole. Ce site se trouve sur un ancien petit temple dédié aux divinités des sources, les nymphes. Sous le maître autel est placée une magnifique châsse contenant les reliques de saint Maurice et ses compagnons. L’endroit supposé du massacre a été appelé « le Champ des Martyrs ». Il est recouvert de gravier rougi, depuis qu’au IVe siècle, saint Martin de Tours est venu prier sur le lieu et que par miracle, une rosée de sang apparut sur le sol. Un peu de rosée a été recueillie dans 4 vases, dont un seul demeure dans le trésor de l’abbaye.
L’empereur Sigismond, après sa conversion, réunit un concile près des tombeaux. La décision de fonder une abbaye fut prise en 515. Construite près d’une falaise, elle fut plusieurs fois endommagée par des chutes de pierres. Le rayonnement de cette abbaye a été très important et le rythme de vie des moines d’Agaune, qui pratiquaient « la louange perpétuelle », a été exporté dans de nombreuses autres abbayes (Saint-Claude, Chalon-sur-Saône, Remiremont…). Dagobert se rend sur le tombeau de saint Maurice en 635. Plus tard, Charlemagne fait don à l’abbaye d’une magnifique aiguière en argent ciselé sur laquelle on retrouve la Croix tréflée et d’un maître autel recouvert d’or. Après le concile de 816 à Aix-la-Chapelle les moines sont remplacés par des chanoines.

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Abbaye Saint-Maurice-d’Agaune
(http://www.encyclopedie-universelle.net)

A partir de 888, l’abbaye appartient au Royaume de Bourgogne. En l’an 1000, l’archevêque de Lyon est nommé Abbé de Saint-Maurice. Rodolphe III en 1018, à la demande de sa femme, place la villa royale de Talloires sous le vocable de Saint-Maurice. A partir de là, Talloires va fonder, à Annecy-le-Neuf, une église dont le patron est saint Maurice. A Thônes l’église sera placée sous le même vocable. La scène du massacre des martyrs constituera le thème du tableau central du retable, incluant une représentation de Jupiter, image insolite dans une église, juste au-dessus du maître autel ! Au bas de ce tableau, dans quatre emplacements on trouve successivement, les représentations des armes de saint Maurice. Tous ces éléments symboliques rappellent que tout chrétien est un soldat du Christ ainsi que le prêchait saint Paul.

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La croix de saint Maurice

La Maison de Savoie fait de saint Maurice un instrument du pouvoir politique Des groupes de chanoines font sécession et fondent d’autres abbayes : Abondance qui sera présidée par les princes de Faucigny, Entremont, le Prieuré de Poisy… Le Comte Rouge Amédée VII crée Ripaille et y installe des chanoines venus de Saint-Maurice. Son fils Amédée VIII crée l’Ordre des Chevaliers de saint Maurice qui aura un rôle caritatif important (création de l’orphelinat du Bocage à Chambéry par exemple).
Le culte voué à saint Maurice s’est très vite développé en Savoie. Nombre d’églises sont placées sous son vocable : Veyrier, Doussard, Abondance, Pringy, Alby, Bellevaux, Boëge, Serraval… Son culte a dépassé les frontières de notre province puisque des cathédrales sises au-delà sont aussi dédiées à saint Maurice : Vienne, Angers, Mirepoix…. Des villages et villes sont appelés du nom du saint ou lui vouent un culte important, aussi bien en Savoie – Bourg-Saint-Maurice, Saint-Maurice-de-Rumilly – qu’au-delà des frontières – Pignerol dans le Piémont, Lucerne en Suisse (pont historique dédié au saint), Magdebourg en Allemagne, Riga en Lettonie… A Tallin en Estonie, on peut admirer « la maison des têtes noires » où le blason de saint Maurice représente le saint en Maure.

Maurice est un personnage des plus importants pour la Savoie. L’anneau de saint Maurice est l’emblème de la maison de Savoie. Un prestigieux ordre dynastique a été créé en son honneur : l’ordre des saints Maurice et Lazare. Aujourd’hui encore de nombreux hommes se prénomment Maurice et jadis beaucoup de femmes portaient le prénom Maurise ou Maurisaz.

D’après la conférence donnée par Christian Regat aux Amis du Val de Thônes le 02.12.2011

En 2015, sera célébré le 1500e anniversaire de la fondation de l’abbaye de Saint-Maurice. Depuis longtemps déjà on s’affaire aux préparatifs, aux aménagements du site. Ainsi, la salle du trésor sera réorganisée. Pendant les travaux, le trésor fera l’objet d’une exposition temporaire au Louvre, à Paris, en 2014. Cet anniversaire exceptionnel sera présidé par le Pape François. Le premier Pape jésuite saisirait-il cette opportunité pour aller jusqu’à Annecy, ainsi qu’il l’a prévu, sanctifier le premier prêtre de la Compagnie de Jésus, le Bienheureux Pierre Favre ?

Tableau central du retable de Thônes
©Jean-Paul Chavas

Le somptueux retable de l’église de Thônes présente des particularités rares, liées au martyre de saint Maurice. Le tableau central, où tient une grande place l’effigie de Jupiter, permet de dire qu’à Thônes, peut-être cas unique de la chrétienté, on dit la messe devant une idole antique ! D’autre part au plan esthétique ce tableau peint sur un panneau en ronde-bosse montre une tache noirâtre en bas, entre les pieds du cheval et le pied de la stèle de Jupiter. La tradition orale, sans aucune vérification historique ni scientifique, voudrait nous faire croire qu’il s’est agi de masquer les corps décapités des compagnons de Maurice. Cela fut peut-être exécuté lors de la restauration de l’église Thônes après les dommages causés par la Révolution. En 1822, Charles Pedrino, Jean-Baptiste et Charles Delponte, artistes de la Val Sesia, ont conçu un nouveau tabernacle dans l’esprit du XIXe s., c’est-à-dire sans la « gloire » caractéristique du baroque qui cachait auparavant le bas du tableau.

Les foires de la Saint-Maurice

Traditionnellement situées autour du 22 septembre, jour de la célébration du saint, elles ont lieu lorsque les troupeaux descendent des alpages. C’est à ce moment-là qu’on vend des animaux afin de réduire le cheptel à garder durant l’hiver. Le produit des ventes permettait jadis d’acheter le nécessaire pour la famille.

Dans son histoire de Thônes, le chanoine Pochat-Baron nous dit que la foire annuelle de la Saint-Maurice existe « de temps immémorial ». C’est ce que les historiens affirment lorsqu’aucun repère précis ne l’établit. Ce qui est le cas en la circonstance puisque nous ne savons quand exactement a été fondée la paroisse de Thônes au vocable de saint Maurice. On peut supposer que dès les origines – Thônes est cité en 1090 – les abbés de Talloires ont tenu à organiser un lieu d’échanges de marchandises afin d’en obtenir les revenus nécessaires à la vie de la communauté. Et ceci bien avant que le marché de Thônes ne soit créé en 1312. On peut également se demander pourquoi Serraval, aussi au vocable de saint Maurice, n’a jamais eu sa foire… Et se demander aussi pourquoi il existe au Grand-Bornand une foire de la Saint-Maurice depuis le XIXe siècle alors que la paroisse et l’église sont dédiées à Notre-Dame de l’Assomption ?

Le champ de la recherche est ouvert à tous les passionnés du Moyen Âge !

Monique Fillion et Danielle Perrillat-Mercerot

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