Quand change-t-on de siècle ? Le calendrier ne laisse pas de place au doute, nous sommes rentrés dans le XXIe siècle, le 1er janvier 2001 ; dans le XXe siècle, le 1er janvier 1901. Mais la réalité historique est plus complexe et il est frappant de constater que, depuis le XVIIIe siècle, les années en 13, 14 et 15 ont souvent marqué des césures importantes.
1914 : « le suicide de l’Europe »
Pour le XXe siècle, cela est une évidence. La première guerre mondiale éclate le 1er août 1914 et porte en elle toute la genèse du XXe siècle. C’est tout d’abord la fin d’une période avec l’effondrement de l’Europe en tant que puissance dominante. La Grande Guerre enfante également de deux tragédies qui vont marquer l’ensemble du XXe siècle : le communisme russe (1917) et le nazisme. C’est de la défaite en 1918, du traité de Versailles de 1919, que les Nazis vont se nourrir dès leur création en 1921. Il est d’ailleurs frappant de constater que leur chef Adolf Hitler a été sauvé par la 1ère guerre mondiale. En 1914, alors âgé de 25 ans, c’est un homme à la dérive : sans profession, sans famille, sans véritable perspective d’avenir. C’est dans l’armée et la guerre qu’il a retrouvé un cadre, un but, une carrière.
Pour nos vallées alpines, la 1ère guerre mondiale a-t-elle marqué un tournant important ? La réponse là-aussi semble évidente. 563 morts, jeunes, hommes, pour la seule vallée de Thônes : le bilan parle de lui-même. C’est aussi l’éloignement des soldats de leur foyer durant près de 5 années (d’août 1914 à octobre 1919 pour les derniers rentrés). On lie aussi cette période à une première émancipation féminine. C’est certainement vrai dans les grands centres urbains, c’est beaucoup plus discutable dans nos pays ruraux. Les femmes travaillaient énormément avant la guerre, autant après la guerre et encore davantage durant le conflit. Quant à leur pouvoir décisionnel, là aussi rien n’est certain. Dans les sociétés patriarcales, si le mari était absent, le beau-père détenait le véritable statut de chef de famille, parfois la belle-mère en cas de veuvage. Les changements ont pu être plus marqués chez les enfants avec une autorité paternelle et masculine absente. Ainsi à Saint-Martin-sur-Arve, commune aujourd’hui rattachée à Sallanches, un incident avait défrayé la chronique. Les grands garçons de l’école primaire, profitant disait-on de l’absence de leur père au foyer et du remplacement de leur instituteur par une jeune femme à l’école, avaient, durant la récréation, uriné dans les encriers. Un fait divers qui avait alors alarmé une grande partie de la population dénonçant « l’esprit déviant de la jeunesse ».
1814-1815 : L’agonie de l’empire napoléonien
Si 1914 marque le début d’une guerre, les années 1814 et 1815 marquent quant à elles, le retour à la paix en Europe. Après deux décennies de conflits, liés à la période révolutionnaire puis aux conquêtes napoléoniennes, le « Vieux Continent » retrouve une certaine stabilité.
Les puissances européennes, réunies au Congrès de Vienne (Septembre 1814-juin 1815) dessinent la nouvelle carte de l’Europe. Une Europe qui nie les aspérités nationales (Polonais, Belges, Grecs, Allemands…), sentiment trop lié à la Révolution Française, qui restaure de nombreuses monarchies (y compris en France, mais aussi en Savoie) et dont les grands contours seront respectés jusqu’en 1919. Pour la Savoie, annexée par la France depuis 1792, l’année 1814 a été une année de guerre (la première depuis 1793). Dès le 2 janvier, les hussards autrichiens arrivent à Annecy. Ils sont au Grand-Bornand le 11 mars. Le premier traité de Paris, celui de mai 1814, alors que Napoléon est en exil à l’ile d’Elbe, scinde la Savoie. La plus grande partie, à l’Ouest, est donnée au royaume de Sardaigne, les cantons de Frangy, de Saint-Julien, de La Roche, l’arrondissement de Chambéry (sauf les cantons de l’Hôpital-Conflans, de Saint-Pierre-D’Albigny, La Rochette et de Montmélian) et l’arrondissement d’Annecy à l’exception d’une partie du canton de Faverges restent à la France. Après l’épisode des Cent-Jours et la défaite définitive de Napoléon à Waterloo, le second traité de Paris (novembre 1815) redonne à la Savoie son unité. La Savoie est rendue au Piémont Sardaigne. Elle connait donc une restauration de l’ordre ancien, son souverain Victor Emmanuel Ier rétablit toutes les mesures en vigueur avant 1792 dans ce régime que l’on appelle le Buon Governo (bon gouvernement).
1715 : Le roi soleil s’éclipse
Le 1er septembre 1715, au château de Versailles, Louis XIV meurt après 72 années de règne. Avec lui, s’éteint une grande partie du XVIIe siècle, celui que l’on a surnommé en France « le grand siècle » : l’apogée de l’absolutisme royal et du rayonnement culturel français.
Pour la Savoie, la rupture est intervenue deux ans plus tôt en 1713, avec le traité d’Utrecht qui met fin à la guerre de Succession d’Espagne. Une guerre qui a secoué l’Europe depuis 1701 mais dans laquelle la Savoie n’est intervenue qu’en 1703. Alliée à la France en 1701, la maison de Savoie change de camp en 1703, entraînant une longue occupation française de son territoire. Les ravages de la guerre et de l’occupation sont aggravés par un climat rigoureux (l’hiver 1709 a été surnommé le grand hiver) déclenchant en Savoie une famine importante. Pour la Maison de Savoie, le traité d’Utrecht a eu pour conséquence indirecte l’élévation au niveau de royaume. En effet, longtemps espagnole, la Sardaigne passe lors du traité d’Utrecht dans les possessions des Habsbourg de Vienne, qui l’échangent en 1718 contre la Sicile avec le duc de Savoie. Les ducs de Savoie portent le titre de « roi de Sardaigne » depuis le 8 août 1720 et ce jusqu’à la proclamation du royaume d’Italie le 17 mars 1861.
Pour les autres siècles, les césures sont moins importantes. On peut cependant mentionner 1515, la célèbre bataille de Marignan ou 1416 et l’érection du comté de Savoie en duché.
Et pour 2014 ?
La question est posée. Les deux prochaines années 2014 et 2015 marqueront-elles une rupture importante dans l’histoire du XXIe siècle ? A l’échelle du monde, de l’Europe ou de la Savoie, on ne peut rien affirmer pour l’instant. Mais pour la ville de Thônes, cela est une certitude. Chef-lieu de canton depuis le 22 janvier 1793, Thônes devrait perdre l’année prochaine cette distinction au profit de la ville de Faverges. Et après 31 années passées à la fonction de maire, la plus longue mandature de la commune, Jean-Bernard Challamel a décidé de ne pas briguer un nouveau mandat lors des prochaines élections municipales de mars 2014. Un véritable changement d’époque.
Jean-Philippe Chesney
Sources
- Almanach du Val de Thônes, N° 24, Amis du Val de Thônes, p. 54-57
- Le Grand-Bornand au fil du temps, P. Baugey, F. Baugey, G. Bastard-Rosset, Association « Histoire du Grand-Bornand, 2010, p.161